S’il fallait s’en tenir aux critères traditionnels permettant de juger de la qualité d’un film, on pourrait sans difficulté souligner les limites du projet. Centré autour d’une famille traumatisée qui va se reconstruire progressivement grâce à la pratique du théâtre, Ghostlight souffre de certaines facilités d’écriture. Les parallèles entre la pièce à jouer, Romeo et Juliette, et le drame vécu sont un peu trop soulignés, surtout dans la manière dont on le dévoile progressivement, tout en tablant sur le fait que le père s’embarquerait dans la pièce de Shakespeare sans en connaître la fin.
De la même manière, les situations de conflit entre père et fille, les malentendus générés par sa pratique clandestine du théâtre s’enchaînent de façon assez mécanique et convenue, et l’on voit dès le départ vers quel dénouement le récit cherche à nous mener.
Et enfin, cette démonstration en faveur des vertus cathartiques du théâtre, déjà abordée maintes fois, pourrait générer en moi des résistances similaires à celles que j’avais formulées face au Cercle des poètes disparus, manuel factice de développement personnel appliqué à la pédagogie.
C’est peut-être cette comparaison qui permet de saisir la beauté très pure de Ghostlight : ses personnages cabossés, maladroits, en incursion dans une troupe elle-même bancale, dénuée de mentor sentencieux qui expliquerait les vertus insoupçonnées d’une thérapie infaillible. Planquée dans une salle à l’abandon, plus proche du groupe d’alcooliques anonymes, le casting de la pièce rassemble les aînés, les comédiens au chômage ou à la retraite, tout ceux qui voudraient, mais qui font en somme avec le peu qu’on leur donne. La maladresse du jeu (portée par la performance exceptionnelle de tout le cast), la difficulté des interactions se voit donc compensée par l’envie commune de mettre en voix un texte que tous savent plus grand qu’eux. Kelly O'Sullivan et Alex Thompson filment avec une grande délicatesse la manière dont tout ce qui entoure la scène construit la complicité et la solidarité.
La catharsis, cette fameuse purgation des ions explosant à l’apogée d’un récit, et suscitant chez le spectateur terreur et pitié, est ici distillée dans une combustion lente. Le personnage du père apprend à fracturer son silence, tandis que sa fille trouvera des voies pour juguler ses hurlements incontrôlés de rage et de douleur.
L’émotion surgit donc moins de la réussite ou non de la représentation théâtrale, mais de la façon dont les liens entre les individus parviennent à trouver de nouveaux élans. Une façon, en somme, de conjurer la solitude et le silence, en exposant, notamment dans ces exercices typiques du théâtre, son corps et sa voix par les gestes, les interactions et les jeux. Sans héroïsme, sans point d’orgue, le récit accompagne simplement des personnes tentant, en dépit des douleurs qui les lestent, d’avancer. Cette modestie volontaire décape même la résolution des démarches judiciaires, par la manière dont la mère conteste la décision a priori héroïque de son mari, qui lui permet de s’octroyer le beau rôle.
Romeo et Juliette, chef d’œuvre atemporel dont on ne comprend plus toutes les formules et métaphores obscures, peut donc fédérer de modestes serviteurs qui partageront sa grandeur avec le public. Et exploreront, dans un même élan, les vastes étendues de leurs douleurs informulées.
(7.5/10)