Le Colonel Chabert, littéralement déterré après la bataille d'Eylau, fait face aux ravages de l'oubli, de la mort et de la disparition. Que reste-t-il quand nous ne sommes plus là ? Qu'en est-il de l'existence de celui qui est officiellement défunt, bien que toujours en vie ? Il en fait la triste expérience qui ne fait qu'en définitive le tuer un peu plus, meurtre social que parachèvera la justice, impuissante, comme le dit Derville, rappelant l'indicible désastre humain, duquel le romancier est toujours en deçà.
Ce héros de la guerre devenu inconnu n'a plus d'existence en propre : l'existence n'est que sociale, et celui qui perd son identité n'existe plus. Chabert en fait les frais et finit lui-même par accepter ce sort injuste, ne se définissant plus que par un numéro. L'homme soumis à la justice n'est plus qu'un être social, et la justice étant impuissante, Chabert ne sera jamais réhabilité. Et surtout, son véritable malheur sera d'être accablé par "le dégoût de l'humanité". La cruauté de son épouse, qui représente la bourgeoisie parisienne feignant et jouant "comme une actrice", se donnant un "air", le répugne. Il découvre que sa mort n'était en réalité pas accablante et qu'on se ait bien de lui. Le contraste est très fort entre l'image profondément humaine et sincère de Derville et Chabert et celle de son ancienne épouse. Balzac dévoile ce qui fait du malheur "une espèce de talisman, dont la vertu consiste à corroborer notre constitution primitive: il augmente la défiance et la méchanceté chez certains hommes, comme il accroît la bonté de ceux qui ont un cœur excellent". Cela est limpide aux yeux du lecteur, qui est pris d'une grande comion pour le colonel, bon par nature, et écrasé dans une société qui ne lui laisse aucune trêve, qui mène contre lui une guerre.
"J'ai été enterré sous des morts, mais maintenant je suis enterré sous des vivants, sous des actes, sous des faits, sous la société tout entière, qui veut me faire rentrer sous terre !" dit-il.