Quand quelqu'un me demande par quel "Balzac" commencer, je propose toujours "Le Colonel Chabert" car le roman est assez court, intrigant et palpitant. Il initie aux "fameuses" descriptions qui font si peur mais qui toujours sont pertinentes et collent précisément à l'action. Pas de digression interminable à la Hugo…
Ici on a droit à plusieurs descriptions, courtes mais savoureuses : l'étude de Maître Derville avec ses vieux grimoires et ses clercs facétieux et impertinents, la délivrance du colonel de la fosse commune dont on ressent tous les relents nauséabonds, la vie mondaine et heureuse de la comtesse Feraud bien que Balzac omet certains détails qu'ils nous livrera violemment plus loin, etc …
Et ce livre est un condensé de Balzac car on y côtoie des personnages qu'on a déjà rencontré ou qu'on rencontrera dans d'autres romans.
On y trouve le style de Balzac avec ses phrases fortes, assassines qui fouettent l'esprit du lecteur, comme j'aime toujours trouver sous sa plume. Ici, la plus connue, à la sortie d'une description, est bien évidemment :
- A qui ai-je l'honneur de parler ?
- Au Colonel Chabert
- Lequel ?
- Celui qui est mort à Eylau.
Car l'histoire n'est pas banale. Un colonel de l'armée de Napoléon ressurgit dix ans après la bataille d'Eylau et surtout après sa mort entérinée par tout le monde y compris par l'Empereur qui lui doit la victoire. Il veut rentrer dans ses droits, récupérer sa femme entre temps mariée à un autre avec lequel elle a eu deux enfants. Mais l'Empereur a abdiqué il y a bien longtemps et le temps de la Restauration est venu. Le livre raconte donc la lutte qu'il va entreprendre contre sa femme dont on imagine bien qu'elle n'a pas l'intention de céder. On a donc droit à des manœuvres tortueuses contre lesquelles le colonel Chabert n'est pas préparé malgré l'aide habile de maître Derville.
C'est le roman de la vertu, du courage, de l'héroïsme, de la parole donnée bafouée par la cupidité, les p'tits sous, les p'tits sous.
C'est comme aux échecs : chacun pose ses pions, observe et jauge l'adversaire. Sauf que la partie est ici mortelle au sens qu'elle peut conduire à la ruine d'une réputation ou de l'individu. Gare à celui qui fait un impair …
Derville, l'avoué, est à la fois l'arbitre et l'allié du Colonel. Mais est-ce que cela sera suffisant ?
Le lecteur éprouve évidemment une forte empathie pour ce Colonel qui ne mesure pas jusqu'où peut mener la cupidité et la haine. C'est en ça que ce roman est significatif de l'œuvre de Balzac.
On trouve aussi dans ce roman un trait habituel chez Balzac et que j'aime bien : le perdant (le héros balzacien) garde la tête haute.
Mais je rajouterais bien la phrase presque testamentaire que l'avoué Derville prononce vers la fin du roman.
"Le prêtre, le médecin et l'homme de justice portent des robes noires peut-être parce qu'ls portent le deuil de toutes les vertus, de toutes les illusions. Le plus malheureux des trois est l'avoué. (…) Nous voyons se répéter tous les sentiments mauvais … Nos études sont des égouts qu'on ne peut pas curer. (…) Je ne puis vous dire tout ce que j'ai vu car j'ai vu des crimes contre lesquels la justice est impuissante"