Lavinia, c'est la femme d'Enée, qui est à peine évoquée dans l'épopée de Virgile. S'inspirant de la fin de L'énéide, Ursula K. Le Guin imagine quel genre de personnage aurait pu être cette femme.
C'est un roman bien documenté, mais ne cherchant pas, de l'aveu de l'auteure elle-même, la vérité de la reconstitution historique. Après tout le livre de Virgile fantasme lui-même un é qui n'a jamais existé!
Lavinia a rencontré l'ombre de Virgile : elle se sait donc un personnage de fiction. Elle connaît ce qui s'apparente à son destin (c'est écrit, dans les deux cas), mais sait également combien son existence reste encore à construire. De cette indécision elle fait une force. Elle choisit d'accompagner son destin, de le choisir librement et de tout faire pour qu'il advienne, et qu'elle puisse en retirer son bonheur. Elle qui vit dans un monde régit par les hommes en retire une force inédite. Celle du roseau plutôt que du chêne. Elle qui s'imagine plutôt comme le chêne sait ployer face à la fatalité et y survivra, y trouvera son compte même, contrairement à Turnus qui doit savoir, lui aussi, son destin, mais se démène pour n'en pas tenir compte, confiant dans sa force.
Lavinia est promise à Turnus, qui la regardait déjà avec concupiscence quand elle n'était qu'une enfant, et son peuple ne comprend pas qu'elle lui préfère un étranger, venu d'un pays lointain dont nul n'avait entendu parler. Sa mère, la tante de Turnus, et amoureuse de lui, fera tout ce qui est en son pouvoir pour l'unir à cet homme qu'elle n'aime pas. Connaissant le destin qui doit lui échoir, Lavinia le précipite en demandant à son père de consulter l'oracle. Ainsi, sa rencontre avec le poète lui permet de faire advenir l'histoire selon ses propres souhaits, elle en devient actrice à part entière.
On voit le propos féministe d'Ursula K. Le Guin, présentant Lavinia comme une femme discrète, mais sachant des armes à sa disposition. Elle a une nette conscience politique, elle refuse de se laisser impressionner, que ce soit par Turnus, ou plus tard par Ascanius, le fils d'Enée, son jugement sur ceux qu'elle est amenée à côtoyer est lucide. Elle est bien décidée à écrire sa propre histoire, puisque le poète lui a laissé en cela toute latitude, et même elle espère changer le cours de celle déjà établie, bien qu'elle ne pense pas y parvenir.
C'est donc le très beau portrait d'une femme, résiliente et déterminée, que nous offre Lavinia, dernier roman de cette grande dame de l'imaginaire qu'était Ursula K. Le guin.