La Meute
5.5
La Meute

livre de Olivier Pérou (2025)

La nuit est tombée, les loups-garous se réveillent...

Il y a des livres, de ces livres dont fait partie « La Meute » qui se lisent avant d’être lu, se notent sans même être parcouru, et dont la simple mention fait trembler quelques lèvres, provoquent des sons d'agacements chez certains, un regard dédaigneux, parfois un crachat ou même un doigt d'honneur en signe de révérence. Ce genre de séisme littéraire est un phénomène assez courant dès lors qu'un ouvrage aux échos politiques touche à un certain sujet : en l’occurrence à la structure sacro-sainte du parti politique et de certains de ses effets.


On a déjà pu assister à cette ferveur provoquée par l'ouvrage de Jordan Bardella « Ce que je cherche » (2024). L'image d'un homme. Ce qu'il représente, ce qu'il porte en lui, ce qu'il dit, ce qu'il dénonce, ce qu'il combat... Le glas sonna, les notes fusèrent, c'était bon enfant, c'est le jeu après tout. Impitoyable. Celui du politique. De la politique. Quand l'ouvrage sur « La Meute » a pointé le bout de son nez, cette même Meute a aussitôt montré les crocs. Donnant la parfaite illustration de la raison même de l'existence de cet ouvrage.


Charlotte Belaïch, tout comme Olivier Pérou ne font que mettre en lumière les dangers et les raisons du pourquoi la scène politique se meurt, du pourquoi tant d'insatisfactions, de colères, de déceptions, d'espoirs infusent, se mélangent, se perdent au sein de la Gauche, du pourquoi ce n'est qu'une fausse course vers une même finalité : celle d'un pouvoir qui corrompt, d'une soif qui ne peut être étanchée.

En son temps déjà, Simone Weil l'avait énoncé (en 1950) avec justesse dans son court essai « Note sur la suppression générale des partis politiques » :


« Un parti politique est une machine à fabriquer de la ion collective ».


La fourche, la torche, la traque des loups-garous est lancée. Mais comment faire quand ces loups-garous se trouvent dans la même maison que nous et qu'on refuse de les voir ?

Ce qui compte en finalité n'est pas le nombre de militants, mais le nombre qui permettra d'aboutir pleinement dans les urnes lors de l'élection présidentielle tant attendue, si proche et si loin à la fois. Les militants comme les cadres ne sont que des pions, remplaçables. La dignité humaine est mise au placard, la conquête du pouvoir n'attend pas :


« On nous explique qu'on est une grande famille et qu'il faut rester soudés » (page 221)

Ce mantra en un sens, est poussé jusqu'à masquer et tolérer indirectement le pire, protéger les têtes proches du chef, même quand il s'agit d'affaires d'agression et harcèlement sexuel (cf, le cas Coquerel). La vie privée, la vie familiale, affective sont toutes mises au placard, la lutte demande à être sacrificielle. C'est ainsi. Il n'y a pas de plus grand intérêt. Le reste n'est que distraction (congrès, élections internes de parti, etc.). Les dissensions au sein du parti, le manque d'opacité, tout cela n'est que distraction apparente vraisemblablement... Pour mieux avancer, il faut savoir se taire ou hocher de la tête quand le chef parle. C'est ainsi. L'enjeu démocratique est une instrumentalisation semble-t-il se dire chez certains...


[2]

« Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres. »


C'est la Meute sous la baguette d'orchestre de Mélenchon qui désigne ceux qui sont de "gauche" et ceux qui ne méritent pas cette appellation. S'accaparant ainsi le monopole de la Gauche - tout du moins ce qu'il en reste - dans le paysage politique français. Dans un aveuglement général, symptomatique d'un sectarisme latent, il n'y en a que pour les Insoumis. Ce sont eux face aux autres, face au monde. Ceux qui ne suivent pas leur marche ne méritent aucun respect.


« Je me souviens de la trouille, c'est un mouvement où on sent la peur » raconte l'ancienne députée Muriel Ressiguier (page 125).

[3]

« La première fin, et, dernière analyse, l'unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite. »


Celle des tentatives de victoires de la FI, Mélenchon en tête, promettant toujours plus et encore à ses militants acharnés, des lendemains meilleurs qui ne viennent jamais... Puis, penser la FI sans Mélenchon, c'est mettre le doigt sur ce quelque chose d'indicible, mais qui est la somme de tous les maux : la guerre d'ego, le culte de la personnalité. En somme, il n'est plus question de voter pour des idées, mais pour des individualités. L'avènement républicain nous avait promis la naissance d'un souverainisme populaire, une mort définitive de l'Ancien Régime, il faut croire qu'ici aussi, les vieilles habitudes ont la vie dure...


« Ta valeur dépend du nombre de conversations que tu partages avec Mélenchon ou avec les députés, c'est très féodale », raconte un militant. (Page 273)

[4]


« Par ce triple caractère, tout parti est totalitaire en germe et en aspiration. S'il ne l'est pas en fait, c'est seulement parce que ceux qui l'entourent ne le sont pas moins que lui. »


À cela Manuel Bompard comme rapporté dans l'ouvrage, je cite :


« Le mouvement n'a jamais été figé. Nous n'avons jamais considéré qu'il était un objet parfait, mais on s'est fixé un objectif très ambitieux : inventer une forme d'organisation qui ne soit pas un parti politique traditionnel, qui permet de fonctionner différemment. » (Page 84).

Mais devant cette grande ambition, une question demeure : cela, peut-il pour autant éviter les maux engendrés par le principe même du parti politique par essence ? Ou au contraire, est-ce qu'en finalité, ce choix pour certains audacieux, pour d'autres risqué, ne fait-il pas qu'accentuer ces maux jusqu'à susciter ce malaise palpable qu'on se refuse à voir au sein de cette "Meute" ?

Ou comment le dire autrement : où s'arrête précisément le rapport au Progressisme au sein de la FI pour tendre à du dogmatisme ?


« Ce qui est intéressant dans LFI, ce n'est pas Mélenchon, c'est l'emprise de Mélenchon : il est capable de faire gober aux gens tout et n'importe quoi. Pour certains, c'est côtoyer Dieu le père. Il y a un véritable système de cour, des jeux d'influence pour en être le plus proche. » (Page 271).

Jusqu'où pardonner quand il s'agit du dernier Parti de gauche de rupture qui arrive à se maintenir à flot à l'échelle électorale devant la menace de l'extrême droite ?


Le livre en somme, s'ouvre et se ferme avec la tentative de répondre à cette angoisse refoulée qui est sur toutes les lèvres : sommes-nous au fond une secte ?


« Ils sont comme lobotomisés, c'est le mot », raconte une collaboratrice parlementaire. [...] « Moi aussi je suis dans la secte, explique un député historique en 2024. Là j'hésite à partir, mais je vais peut-être le croiser, parler avec lui [Mélenchon] et retomber dans le truc. … » (Page 145).

La pierre n'est pas tant à jeter à l'existence nébuleuse et inespérée à ses origines de la Insoumise qu'à l'ensemble du système en lui-même qui régit et dicte la danse (tous partis politiques dans le paysage politique français est concerné, de la FI au RN, en ant par En Marche, LR, etc.). Le prêt-à-penser, les biais cognitifs et le refus de la nuance, de l'entente ne sont que partie remise après tout... Reste à savoir ce que ces abstentionnistes, ces désespérés, ces laissés-pour-compte, mis sur la touche face à ces guerres idéologiques et dont se rêvent les cadres à la Insoumise pour combler les trous dans la brèche vont faire durant les prochaines élections.


« Certains, dont je suis, ont alerté à plusieurs reprises, au sujet du fonctionnement - juste le fonctionnement - de La insoumise. Tant qu'on est d'accord tout va bien. Mais il n'y a pas de moyen de ne pas être d'accord. Or une dynamique politique - surtout révolutionnaire - dépend de la capacité des militants à s'approprier des raisonnements, c'est-à-dire potentiellement à les contester. » - Charlotte Girard (page 129)

Pour l'heure, l'ouvrage de Charlotte Belaïch et d'Olivier Pérou produit le résultat attendu dans une moindre mesure : il est acclamé par les convaincus de la première heure, mais rejeté par les (in)soumis.

Je vous laisse avec ces derniers mots, mettant à l'honneur cette grande femme que fut Simone Weil :


« Presque partout – et même souvent pour des problèmes purement techniques – l’opération de prendre parti, de prendre position pour ou contre, s’est substituée à l’obligation de la pensée.




C’est là une lèpre qui a pris origine dans les milieux politiques, et s’est étendue, à travers tout le pays, presque à la totalité de la pensée.




Il est douteux qu’on puisse remédier à cette lèpre, qui nous tue, sans commencer par la suppression des partis politiques. »


- Jimi_

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