Un mauvais Balzac. Ça arrive. C’est toujours moins mauvais que le meilleur livre de Robbe-Grillet, mais ça arrive. Qu’est-ce qui ne va pas avec cette Femme de trente ans ?
Que l’œuvre oscille entre recueil de nouvelles et roman, en soi, ne me pose pas de problème. Il y a de très bons romans – ou recueils de nouvelles – écrits ainsi. (Mettons, dans un registre différent, le récent Brûlées, d’Ariadna Castellarnau.) Le problème ici, c’est que les tures entre les six récits (« chapitres » ? « sections » ?) sont soit inexistantes, soit terriblement artificielles. On parle de la même femme – et encore, ça ne saute pas aux yeux – et c’est tout.
Deux procédés dont Balzac raffole sont touchés : les récurrences de personnages ont ici quelque chose de plaqué. Et s’il y a toujours des grincements chronologiques d’un récit de la Comédie humaine à un autre, la Femme de trente ans présente les discordances de dates les plus manifestes.
D’une manière générale, ce « recueil de nouvelles, imparfaitement métamorphosé en un roman » (ce sont les éditeurs du texte en « Pléiade » qui parlent, p. 1029) donnera du grain à moudre à ceux qui reprochent à Balzac de travailler à la va-vite : il faut arriver à suivre cette comtesse qui dans la même page devient marquise puis redevient comtesse – à moins que ce soit l’inverse. Et puis comment expliquer cette phrase à bêtisier : « il sauta sur le timonier, et l’atteignit si furieusement de son poignard, qu’il le manqua ; mais il le précipita dans la mer » (p. 1093) ? Le age est d’ailleurs à l’image d’un récit, « Les Deux Rencontres » à la fois bancal, complètement invraisemblable et sans réel rapport avec le reste – comme si, en faisant des concessions à son éditeur et au roman de pirates, Balzac s’était oublié.
Que reste-t-il alors à cette œuvre ? Une esquisse de roman (« Premières Fautes ») et deux autres récits (« À trente ans » et « Le Doigt de Dieu ») irables de construction et / ou de finesse psychologique et stylistique, quoiqu’ils eussent gagné à être débarrassés de leur parfum moralisant.
Et puis, çà et là, les maximes brutales et ciselées dont Balzac assaisonne toutes les Études de mœurs et dans lesquelles éclate toute son ambiguïté vis-à-vis des femmes : « les femmes aiment mieux croire à la science des chiffons qu’à la grâce et à la perfection de celles qui sont faites de manière à les bien porter » (p. 1081), vous trouvez ça misogyne ? Le volume, pris dans son ensemble, l’est nettement moins.
Il propose du reste cette formule (p. 1084) qui condense et porte en germe la situation de plus d’une héroïne balzacienne : à propos de Julie, « Son mariage était cause de cette perversité à priori qui ne s’exerçait encore sur rien. »