Ce que j'aime chez Rainbow Rowell, c'est sa détermination à toujours faire ce qui lui plaît.
Pour son 5ème roman, Rowell décide de développer ce qu'elle avait esquissé dans Fangirl en 2013, et de publier une aventure complète de Simon Snow, héros imaginaire inventé dans ce roman. Simon Snow est un jeune magicien inscrit à la Watford School of Magicks, cousin d'Harry Potter créé par Rowell et mondialement connu dans le monde de Fangirl. Si connu que Cath, l'héroïne du roman, publie des fanfictions sur internet inspirées de ses aventures, où Simon et son nemesis, Baz, filent une parfaite histoire d'amour-haine qui ravit les lecteurs.
Carry On est l'épilogue des histoires magiques de Simon Snow, après 7 ans és à la School of Magicks. Ici plus question de Cath cependant, c'est Rowell qui signe l'histoire. Je pense que l'expérience est d'autant plus intéressante en lisant les deux romans à la suite : les aperçus de l'histoire de Simon présentés dans Fangirl donneront à n'importe quel amateur d'Harry Potter (et de magie en général) l'envie d'en savoir plus. Quelle joie de poser un roman pour plonger immédiatement dans son monde jumeau !
D'autant plus que Carry On est une vraie réussite, portée par le don de Rowell pour les dialogues et l'invention de personnages attachants et addictifs. Le monde "magick" des Mages est une version plus mature et plus terre-à-terre que celui d'Harry Potter, où les ados parlent de façon crue, sont torturés par leurs hormones, utilisent des téléphones portables et ont soif de pouvoir. C'est un univers de sorciers pour "young adults" qui ne sombre cependant jamais dans la vulgarité ni la futilité. C'est également, comme dans beaucoup d'histoires de Rowell, l'occasion de célébrer la littérature et le language, avec un système de magie nourri par les idiomes de notre temps. Dans le monde de Simon, plus une phrase est connue, plus elle est concentrée en magie. Les Mages sont des linguistes fous, toujours à la recherche de nouvelles combinaisons de mots provoquant de nouveaux effets magiques. Les comptines pour enfants comptent parmi les formules magiques les plus puissantes au monde... Bref, le monde des Mages est rempli de détails inventifs et touchants, qui nous transportent immédiatement au coeur d'une histoire qui se déroule sans nous depuis 7 ans.
L'autre interêt des histoires de Rowell, c'est que contrairement à la plupart des auteurs jeunesse, elle n'a pas peur de décrire la sexualité adolescente. Combien d'histoires de ce style accordent trop d'importance à la construction d'une romance et n'esquissent finalement qu'une demi-scène d'amour à peine assumée ? Le pilier central de l'histoire est la relation conflictuelle qui oppose Simon et Baz depuis des années, une haine indestructible et lancinante qui régit leurs vies. Comme toujours, cette haine est nourrie par une fascination refoulée pendant toute leur scolarité, et Carry On raconte la résolution de leur relation.
L'histoire peut sembler parfois un peu déséquilibrée (il se e peu de choses dans la première partie du livre, et la fin est comme toujours un peu rapidement expédiée), précipitée (on voudrait beaucoup plus de scènes entre Simon & Baz), et puis immature, bien sûr, il faut aborder l'histoire avec une certaine innocence... Mais quand on finit Carry On, si la sauce a pris, on a surtout envie de relire toute la série des Simon Snow à l'envers (si elle existait). Et on ressent ce pincement au coeur si familier, celui qui accompagne le départ des héros auxquels on s'est attachés trop, trop vite. Auquel on a envie de dire "écrivez-nous une carte postale, une fois de temps en temps, pour qu'on sache que tout va bien".