Vu en avant première dans le cadre du festival "Hallucinations Collectives".
Film en lice pour la compétition longs métrages.
Avec cette proposition Emilie Blichfeldt opère deux mouvements qui tout en se répondant finissent par ne constituer qu'un ensemble. Renvoyant la Cendrillon de Disney aux bas des grands escaliers de la salle de bal avec la douceur et la bienveillance d'une rhinoplastie sans anesthésie.
En choisissant de focaliser son regard et notre attention, non pas sur l'héroïne traditionnelle du conte de Perrault, mais sur l'une de ses antagonistes, celle que l'usage et la tradition ont finit par nous présenter comme la méchante, opère avec cette bascule une remise en question de cet attendu. Là Cendrillon n'est pas la jeune fille innocente martyrisée par une marâtre ambitieuse et ses deux filles aussi sottes que vénales. A contrario les deux sœurs, dont une en particulier sera le point d'attention de tout le film, nous sont présentées comme des jeunes femmes soumises aux conventions et aux impératifs dû au rang auquel aspire leur mère.
Cette mère qui devient le symbole du premier mouvement, qui est la perception de la femme dans la société. Quand l'annonce du bal organisé pour permettre au Prince de trouver femme est faite, elle n'aura comme volonté unique que de transformer sa fille. Usant pour cela de méthodes pour le moins extrêmes. Méthodes auxquelles viennent se greffer pour la jeune femme tout un arc de manipulation psychologique qui finissent par la convaincre que d'une elle doit souffrir pour être belle, de deux que les sacrifices qu'elle consent le sont pour son bien, pour son propre épanouissement et enfin et c'est là le plus terrible lui faire accepter comme parole d'évangile l'idée que tant qu'elle n'aura pas atteint un ensemble de critères arbitraires d'une beauté établie comme modèle à atteindre, elle ne sera rien.
Cette dénonciation frontale des diktats imposés aux femmes quant à leur apparence, diktats qui débutent dès les premières représentations faites aux fillettes de ce qu'est une belle femme, les princesses de conte. Héroïnes modèles, socles d'identifications qui étrangement ne sont jamais touchées par des soucis de poids ou caractérisées par des traits sans éclats particuliers. Pas plus qu'elles ne sont caractérisées comme des femmes intelligentes et autonomes. Ces mêmes injonctions destinées à soumettre la femme aux désirs et à réifier leurs corps pour les appétits tant sexuels que de domination des hommes, vont se retrouver dans les magazines, le monde de la mode, le cinéma et beaucoup d'autres domaines qui vont petit à petit formater les jeunes filles à croire au pouvoir fumeux de l'apparence.
Cette idée conduira cette pauvre fille à tolérer les pires tortures physiques puis psychologiques imaginables, poussant jusqu'au point de rupture les moyens de sa servitude volontaire à la norme misogyne à laquelle elle veut adhérer par habitus et suggestion permanente. Le film fait mal. Il nous oblige à subir la douleur que ressent notre victime de la mode et quand du naufrage mental auquel on assiste et dont on voit bien l'outrancière vacuité poindre, le film cesse d'imposer à sa victime le poids des envies des autres, sa mère ambitieuse ou le Prince indélicat, ce n'est pas pour la sauver, mais parce que désormais le lavage de cerveau a fonctionné et que d'elle même, de sa propre initiative elle s'appliquera à transformer son corps, son physique. Transformations qui confinent à la folie, à la barbarie et à la mise en danger permanente de sa santé et de son intégrité.
Je fais un petit aparté pour faire un "trigger warning" mais le film pourrait être une épreuve difficile pour les personnes qui souffrent ou ont pu souffrir de troubles du comportement alimentaire.
Cet avertissement fait, il est temps de parler du second mouvement du film. Si jusque là, le film était déjà assez sombre, il tombe au final dans un pessimisme absolu, une annihilation cruelle et terrible des efforts et des sacrifices car au final même si les objectifs de ressembler à la perfection sont atteints, il y en aura forcément une plus belle pour vous voler votre instant de gloire. Et si d'aventure vous répondez à tous les critères de beauté, il vous sera alors reproché votre liberté ou votre manque de vertu, car la perfection féminine ne s'incarne pas dans une société patriarcale qu'à travers l'apparence, elle se doit aussi de mettre en valeur les attributs mâles de la puissance. Le trophée c'est la femme et il doit être impeccable et pur. Alors à quoi bon tout ça mesdames ? Envoyez tout promener !