Grand Prix Orizzonti du Festival de Venise 2025, le premier long métrage du roumain Bogdan Mureşanu ne manque pas d’ambition. Récit choral, il suit six trajectoires différentes, convergeant vers la révolution de 1989 et la fin du régime de Ceausescu. Le cinéma roumain, particulièrement fécond dans les festivals depuis quelques décennies, a régulièrement abordé, dans une perspective contemporaine, les traces laissées par la dictature. On n’avait pas (à ma connaissance) jusqu’à présent abordé la période elle-même, ce que fait donc ce film qui va traquer les prémices d’une révolte généralisée.
Si le film occasionne quelques longueurs sur ses 2h20, il sait tirer parti de sa structure chorale pour varier les personnages, les profils, les contextes et les affirmations plus ou moins manifestes de la révolte. Le tableau est ainsi presque exhaustif pour reconstituer une société totalement phagocytée par la surveillance, où une personne sur quatre serait un agent du gouvernement susceptible de surveiller ses interlocuteurs, et où les tueries de Timisoara commencent à faire des remous.
La fluidité du montage permet une habile circulation d’un récit à l’autre, qui par écho et soubresauts, fait état d’une situation carcérale au bord de l’implosion. La respiration est aussi perçue par certaines saillies d’humour, les premiers signes de sédition s’exprimant par la dérision d’un monde arc-bouté à sa propre mise en scène, dans un show télévisé qu’il faut retourner pour chanter la gloire du dictateur alors que décors et figurants ne sont plus disponibles. L’un des récits se fait également autour d’une lettre au père Noël aux conséquences explosives, et qui étend ici le premier court métrage réalisée par Bogdan Mureşanu. Mais le cinéaste prend aussi soin de s’attarder sur toutes les classes d’âge, notamment par l’entremise d’une vieille femme chassée de son logement, et qui conteste les décisions qu’on prend pour elle. Son obstination à rester dans une pièce privée d’électricité devient ainsi la métaphore de ce monde finissant qui, dans un déni flagrant, maintient les apparences alors que ses fondations s’effritent à grande vitesse. Le final sur le boléro de Ravel pour faire converger toutes les destinées ne va certes pas briller par son originalité (et faire écho, probablement à son insu, de celui d’En Fanfare), mais n’en est pas moins dénué de force émotionnelle et d’efficacité narrative. Rien de tel, en somme, qu’un ample récit aux allures de comédie humaine décadente pour rendre hommage à toutes les étincelles qui contribueront à son explosion.