Habibi c’est l’enfant de plusieurs mondes. C’est l’Orient raconté et magnifié par l’Occident. C’est la beauté du mot, la grâce d’une courbe qui révèle une idée dans un délié. Cette grandeur de l’Orient, de l’exotisme de ses contes à la force de ses spiritualités, se confronte violemment à la bêtise, le vulgaire, la crasse humaine.
Habibi est entre la beauté des cieux, et les fanges du monde. C’est un orientalisme à l’envers, qui encense l’invisible et met en lumière ce qui a pu être fantasmé ailleurs (le désert, les harems comme traditionnellement représentés à travers le courant orientaliste).
C’est un travail monstrueux, tant sur le fond (Craig Thompson s’est entièrement immergé dans une culture qui lui était étrangère, et a tenté avec certes de la maladresse et un regard parfois trop occidental, de comprendre et de transmettre ce qui lui était de prime abord totalement exotique) que sur la forme, où chaque trait s’apprécie. Le découpage est extrêmement bien pensé, certaines pages sont des oeuvres d’art qui mériteraient d’être encadrées et foisonnent de détails et de minutie.
Habibi est une poésie amère et derrière la richesse de l’arabesque se terrent la violence et le malsain. Ce n’est pas le monde arabo-musulman que vise Craig Thompson mais l’humanité dans son ensemble. Et c’est en célébrant ce qu’elle a pu créer de plus beau, qu’il déplore ce qu’elle a pu induire de pire : le désastre écologique, les cruautés sexuelles, le sexisme, la barbarie, la traite humaine, la tyrannie.
Cette bande-dessinée est un chef d’oeuvre qui nous sort de notre cocon de confort le temps d’une lecture, nous imbibe et nous abandonne, changés.