Je suis le héros de ma propre histoire.
Asterios Polyp est un graphic novel/comics/livre extraordinaire, et peut-être la bande-dessinée qui transcende le plus son genre et ses codes.
Difficile de ne pas noter la structure pour le moins étrange de l'ouvrage, entre les nombreuses pages blanches inter-chapitres, les planches tantôt divisées en cases, tantôt beaucoup plus libres et ce mélange de couleurs qui varie d'une situation à une autre. En fait, tout est outil de narration, et chaque couleur aura du sens pour éclairer le lecteur sur l'époque décrite (parce qu'Asterios Polyp regorge de flashbacks) ou les sentiments des personnages. Le délire est même poussé jusqu'à changer de police d'écriture pour chaque personnage et l'ensemble regorge donc de diversité visuelle : style de dessin, polices, couleurs ou découpage des planches varieront donc au cours de la lecture, et toujours avec une logique derrière.
Parce que la logique est probablement la meilleure amie d'Asterios, héros de l'histoire, enfant unique doté d'une curiosité insatiable et ayant suivi un bon cursus scolaire. Au point de devenir professeur à l'université, de se rendre à toutes les soirées intellectuo-mondaines et de se voir iré/estimé pour ses capacités intellectuelles, théories et bons mots. Tout doit être logique, et Asterios considère avec mépris le feng-shui et autres superstitions non démontrées par la science, seuls comptent son ego et les concepts, si possibles polarisés.
Et j'aurais pu proposer une analyse personnelle de l'oeuvre et de tout ce qu'elle aborde, mais cela semble en fait impossible. Parce que trop de thèmes sont abordés, parce que le contenu est trop riche et qu'il semble d'ailleurs impossible de tout comprendre, de tout percevoir en une seule lecture et parce que je pense que c'est une expérience visuelle qui peut parler à tout le monde, mais pour des raisons différentes.
Parce que chaque personnage est très travaillé (même si Asterios est clairement le seul dénominateur commun entre toutes les parties de l'histoire), ainsi que chacun de leurs dialogues. Entre la philosophie d'aspect simpliste d'Ursula, la profonde gentillesse de son mari, les doutes et l'amour de Fleur, chacun permettra de reconstituer une partie du puzzle que constitue Asterios, pendant que lui-même cherchera en parallèle à se comprendre et à se reconstruire. Et les personnages secondaires ne sont pas en reste, certains étant même vraiment drôles : le mécano enfermé dans son trotskisme pour se donner un genre anti-système (et donc cool) ou le metteur en scène nietzschéen, imbuvable et totalement imbu de sa personne (plus encore qu'Asterios).
Avec autant de personnages variés, qui ont chacun leur vision du monde, le comics de Mazuchelli pourrait s'éparpiller, et trop diluer ses idées, et c'est malheureusement un peu ce qui se e. Et ce ne sont pas les excellentes planches (plus farfelues dans la forme) expliquant certaines idées ou concepts philosophiques qui aideront le lecteur à se départir de ce maelstrom d'idées. Et pourtant, Asterios Polyp se lit avec bien plus de facilité qu'un Nietzsche ou Watchmen (pour rester dans le comics), tant tout est aéré, clair (dans les teintes de couleur) et au fond bien plus humble qu'imaginé. Le lecteur trouvera forcément des idées qui lui parleront, une mise en page originale ou une planche superbe, et peut-être qu'à force de relectures, le puzzle finira par se compléter.
Une oeuvre puissante, complète, riche pour son fond, parfaitement retranscrite grâce à une forme audacieuse, originale et qui épouse totalement le contenu. La meilleure bande-dessinée que j'ai pu lire.