Chez Médine, il y a toujours eu une tension entre colère juste et désir d'intégration. Dans Stentor, cette tension devient insoutenable. Ce qui devait incendier le système finit par l'éclairer comme une veilleuse.
Derrière les allures de pamphlet, on trouve un album profondément centriste, pacifié, républicain et même libéral dans ses ressorts. Médine y alterne dénonciations sincères (Adama, Hedi, violences sociales...) et récupération bourgeoise de la dissidence. Le mot "amour", en clôture, fonctionne ici comme un extincteur idéologique, une fin de non-recevoir à toute radicalité, à rebours total de la position de Willie D, qui répondait au pacifisme de Rodney King par un cinglant "fuck ce renoi". Pas de paix sans justice, pas d'appel au calme sans appel à l'insurrection.
S'il parle de la misère, c’est pour mieux la poétiser. S'il évoque l’État, c’est pour le supplier d’être à la hauteur de lui-même. Le "vivre-ensemble" est invoqué comme une fin, la République comme un horizon, les Lumières comme une vérité trahie, alors qu'un regard matérialiste montrerait qu'il s’agit de structures historiquement racistes, coloniales et bourgeoises, non pas de principes mal appliqués. On nage ici en plein républicanisme de gauche, sauce EELV / LFI, dont Médine est aujourd’hui un compagnon de route. Et comment ne pas rappeler sa proximité assumée avec Hassan Iquioussen, figure de l'islamisme intégrationniste à la française, pro-franchouillard, et ancien compagnon d'Alain Soral ? Médine ne se contente pas d'un silence complaisant, mais lui apporte un soutien tout à fait explicite dans son album.
Cette trajectoire déçoit jusqu'à ses anciens alliés. Houria Bouteldja, proche de Médine dans les années 2000, a récemment publié une tribune virulente dénonçant sa supposée "domestication" symbolique, notamment sa participation à un événement où figurait le chanteur Bilal Hassani. Selon elle, Médine se serait "dévirilisé" au de la gauche blanche, et se serait soumis au progressisme libéral. Nous ne partageons pas cette critique. Si elle touche juste en pointant la neutralisation politique de Médine, elle la fait depuis un refus homophobe de l'émancipation queer et un attachement conservateur à une masculinité "indigène" fantasmée. Soulignons par ailleurs que la critique de Bouteldja est elle-même piégée. Malgré ses prétentions décoloniales, elle reste fondée sur un virilisme conservateur, une homophobie latente, et une essentialisation raciale des identités. Et surtout, elle aussi est profondément intégrationniste. Son "Frexit décolonial" n’est pas une rupture avec l'État-nation, mais un projet de souveraineté populaire qui reste dans le cadre républicain. En somme, deux faces d'une même médaille, deux projets de respectabilité, de moralisation et de réintégration, Médine par l'émotion, Bouteldja par le ressentiment.
Médine veut "tout concilier" : les quartiers et la République, le capital et l'éthique, la révolte et le consensus. Mais à force de jouer les ponts, il devient un maillon. Il prend la posture du martyr (le "paratonnerre"), mais il n’est que le tampon sonore de la conflictualité sociale : celui qu'on laisse s'exprimer parce qu'il ne veut pas que ça explose. Or cette figure du martyr est obscène dans sa bouche, car Médine est un artiste reconnu, invité dans les médias, programmé à la Fête de l'Huma. Il n'est pas celui qui dort au CRA, qui craint l'OQTF, ou qui prend un LBD en pleine mâchoire.
Ce qu'il reste, alors, c’est un album bien intentionné, mais parfaitement inoffensif, qui absorbe la colère pour mieux l'exporter sur Spotify. Stentor, c’est le son d'un orateur convaincu, mais plus vraiment convaincant. Un rap qui donne bonne conscience à ceux qui l'écoutent, sans jamais inquiéter ceux qu'il prétend dénoncer.