Jane Campion fait partie de ces cinéastes qui franchissent définitivement le pas vers la série : le cinéma, ses contraintes, son canal de distribution et son financement se révélant trop contraignants, place aux projets plus amples de mini-séries. C’est là la possibilité d’une certaine liberté, et, surtout, d’un projet qui bout à bout dure environ 6 heures, une occasion inespérée dans le monde formaté du long métrage.
Top of the lake brille d’emblée par sa singularité, et la patte bien présente de sa réalisatrice : la série est un projet sur les femmes, par une femme, et une œuvre néozélandaise par son décor.
La femme est représentée sur plusieurs générations : l’adulte encore brisée par une adolescence traumatique, sa mère, la gourou (Holly Hunter dans un rôle assez génial et mystérieux de prime abord) et la jeune garde qui semble reproduire la mécanique tragique de la victime. Force est de reconnaître que la mise en place est puissante : les personnages s’imposent, leur charme s’obscurcit d’un mystère insondable qui donne irrémédiablement envie de les suivre.
S’ajoute à cette galerie le cadre dans lequel on les place. Ce fameux lac éponyme, lieu édénique et mortifère, est aussi riche de contradictions qu’il est visuellement sublime. Les prises de vues depuis les crêtes montagneuses, les eaux noires ou les rivages herbeux contribuent à la création d’un univers unique, doté d’une atmosphère qui lui est propre : rien que pour cette raison, l’exposition de la série est une grande réussite.
Reste à y faire évoluer personnage et intrigue, et er ce cap difficile du charme mystérieux aux révélations nécessaires.
On ne peut pas dire que la série soit à la hauteur de ses promesses : assez vite, la course à la narration prend le pas sur la pérennité d’une ambiance, et l’on a le sentiment d’assister à une série de 24 épisodes condensée en son quart, avec toutes les péripéties du catalogue :
rupture, twist, échec, je te soupçonne, je suis démise de mes fonctions, je suis ton père, je suis ton demi-frère, etc., etc.
Tout ce qui faisait la saveur de l’univers s’édulcore, et la question de se poser : que ce serait-il é si Jane Campion avait été limitée par le cadre d’un long métrage ? Bien des attendus de la série policière auraient été évités, alors qu’on aurait, pour sûr, gardé l’amplitude visuelle et les charmes vénéneux des personnages.
Mais ce que Jane Campion perd en singularité, elle le gagne visiblement en audience. La série a été unanimement saluée, et légitimement : il en faut peu, dans cet univers si balisé, pour offrir quelque chose qui se distingue en qualité. De ce fait, elle a pu faire une deuxième saison tranquillement. Elle y gagne, les spectateurs aussi.
Les cinéphiles nostalgiques de ses chefs-d’œuvre, moins.
(6.5/10)