De l’eau a coulé sous les ponts depuis le sacre de Mr. Robot : loin de toute l’effervescence l’ayant entouré, sa découverte tardive permet d’éviter l’écueil de l’effet « buzz », lequel a cela d’insidieux qu’il s’accompagne souvent d’un évident manque de recul. Nous tergiversons, d’abord pour tenter de nuancer un constat implacable : rien, absolument rien n’est usurpé dans sa réputation.
Ainsi donc, au même titre que les aficionados de la première heure, le coup d’éclat de Sam Esmail nous aura finalement estomaqué : la manière est d’ailleurs telle que nous en oublierions presque la sensation de longueur à mi-parcours, chose largement imputable à une deuxième saison particulière, ce qui faisait mine de traduire une gestion imparfaite du rythme (et cette tendance, si symptomatique d’un grand nombre de shows, à traîner la patte). Au contraire, y songer à posteriori produit l’effet inverse : rien, absolument rien n’était de trop dans sa construction.
Paradoxalement, l’unicité de Mr. Robot est largement imputable à ses nombreuses références, ce qui pouvait laisser craindre qu’il ne confine au réchauffé : toutefois, qu’il s’agisse de ses mises en scène « thématiques » (sitcom familiale, format cinématographique, actes théâtraux...) ou de ses clins d’œil appuyés (Matrix et compagnie), force est de constater qu’il en tire une certaine alchimie, bien loin de la tambouille pataude que nous pouvions craindre. Combiné à l’expérience et les propres inspirations de Sam Esmail, la série emprunte aussi bien à notre réalité contemporaine (déviance du capitalisme, asservissement des peuples par l’image, le Printemps arabe...) qu’à de célèbres productions audiovisuelles et culturelles.
Si la chose n’était pas forcément évidente aux premiers abords, la faute à une première saison introductive et mystérieuse, la suite va ainsi démontrer du doigté dont aura su faire preuve Esmail : ce savant cocktail, si imprévisible en préambule, va entremêler la petite à la grande intrigue autour d’un Elliot Alderson à la fois témoin, acteur, victime et architecte de ce méli-mélo polymorphe, à la fois capable d’une envergure folle mais aussi d’un intimisme viscéral... liant le tout jusqu’à ce dénouement bouleversant.
Comme à la manière de ses « modèles », Mr. Robot est de ces œuvres ne dénouant pas tout : au risque de trop en faire ou de se perdre en chemin, il sera cependant parvenu à ses fins en formulant une conclusion non seulement satisfaisante, mais surtout brillante. De quoi nous endre à ne pas trop nous attarder sur les non-dits et autres ramifications obscures non élucidées (la machine de Whiterose étant l’exemple le plus évident), à raison de plus que cela n’est pas essentiel : car, in fine, tout nous ramène à Elliot et ses tourments, particularités et choix, eux qui confèrent à la série une profondeur autorisant bien des interprétations.
La ligne directrice qu’est son trouble dissociatif de l’identité, si propice et généreux en la matière, accouche d’une narration irrégulière et sujette aux fausses pistes : à cela s’ajoute la conscience exacerbée de son sujet, lui qui nous parle littéralement sans nous nommer, renforçant par voie de fait les prétentions métas (nullement gratuites) d’Esmail et son propos développé en filigrane, le spectateur se voyant désigné comme un participant if. Flirtant de bout en bout avec une complexité faussement alambiquée, Mr. Robot réalise donc une véritable prouesse en militant par le divertissement, d’impressionnants épisodes et séquences (405 Method Not Allowed, fiou) tenant du décorum luxueux en faveur de messages puissants.
Assurément, la gestion de l’humain n’est pas en reste car, à l’instar d’un Elliot sublimé par la prestation de Rami Malek, aucun personnage n’est utilisé au petit bonheur la chance : mieux encore, la relation fraternelle que porte Darlene, les ambitions ambivalentes de Zhang ou la quête erratique d’Angela incarnent de différentes façons les multiples facettes de la série, coupable de tant en faire qu’il nous serait difficile de toutes les lister sans en oublier. Il s’impose ainsi à nous que Mr. Robot a tout des plus grands, celui-ci nous invitant à vivre, er et souffrir au côté de cette galerie aussi défaillante qu’attachante.
Bref, entre le faux du vrai et le vrai du faux, nous pourrions continuer de décortiquer le chef d’œuvre de Sam Esmail sans fin : intriguant en ouverture, déroutant à mi-parcours, subjuguant au final... nul doute que nous tenons là l’une des plus importantes productions audiovisuelles de la décennie ée. Pour une intrigue tenant pour l’essentiel dans la psyché d’un « unique » personnage, l’ampleur vertigineuse de ses développements et artifices est définitivement la marque d’une ambition à la hauteur de son intelligence. Alors, bravo... et merci.