Greenfields, c’est un 45 tours à la pochette mauve, usée et antérieure à ma naissance. Un vestige d’un temps lointain où mes parents étaient jeunes et dansaient des slows. Papa l’avait conservé, je me le suis très tôt approprié. Avant de me coucher, je l’écoutais sur mon petit tourne-disque. Je rêvais d’amitiés viriles, de feux de camps et d’exotisme. Le vinyle crachotait, mais les voix des quatre étudiants n’avaient rien perdu de leur pureté et les guitares de leur nostalgie langoureuse.
Once there were green fields, kissed by the sun.
Once there were valleys, where rivers used to run.
Once there were blue skies, with white clouds high above.
Once they were part of an everlasting love.
(…)
You can't be happy, while your heart's on the roam,
You can't be happy until you bring it home.
Home to the green fields, and me once again.
Autrefois, les pâturages étaient verts et ensoleillés, les rivières pures et l’amour éternel. Je ne connaissais rien à l’amour, mais j’aimais la guitare et devinais que, pour mes parents, cette chanson se paraît de mystère. Greenfields, c’était leur jeunesse. Ce fut, aussi, une part de mon enfance. Le morceau est sirupeux et, rapidement, lancinant. La mélodie est prévisible et objectivement monotone. Il n’y est question que de paradis perdus, d’herbes grillées, de rivières asséchées et de chantage sentimental : tout reviendra comme avant seulement si tu me reviens. Home to the green fields, and me once again.
J’ignorais tout des quatre frères. Depuis, j’ai appris que Bob Flick (chant, contrebasse), Dick Foley (chant, guitare, banjo), Mike Kirkland (chant, guitare, banjo) et John Paine (chant, guitare) créèrent ce groupe de folk en 1958 à Seattle. Première déception, les frères ne l’étaient point, mais appartenaient à une fraternité étudiante (Phi Gamma Delta), une de ces sociétés d’entraides, plus ou moins secrètes, qu’affectionnent les WASP. Greenfields survola les charts de l’année 1960. Ils trouveront un second succès dans l’interprétation de The Green Leaves of Summer, thème du tristounet Alamo de John Wayne. Encore une ballade larmoyante : à la veille de leur ultime combat, les héros méditent sur leur vie, leurs échecs, leurs erreurs et la valeur de leurs engagements.
Entretemps, l'invasion du rock britannique aura tout emporté, Bob Dylan se chargeant de révolutionner le folk et Simon et Garfunkel les ballades mélancoliques. L’heure de gloire des frérots était ée. Ils ont néanmoins continué à jouer et enregistrer au Japon et dans le circuit hôtelier américain. Ils jouent toujours, même si Bob Flick est le seul à demeurer du quatuor initial. Ainsi, les *Four Brother*s auront bien et fort longtemps vécu sur la célébration de leurs jeunesses perdues, une chanson écrite alors qu’ils avaient à peine vingt ans. Comme quoi la nostalgie, fut-elle précoce, paie bien.
https://www.youtube.com/watch?v=BQnF5aRNQF4
PS Nous devons aux Compagnons de la Chanson une reprise locale sous le nom de Verte campagne.