Quelques arpèges en fond, délicats, comme l'avertissement d’un danger imminent, la goutte d’eau qui te tombe sur le pif avant le déluge. Puis un ciel gris, des putains de nuages qui se roulent dessus, qui se foutent des coups d’épaules, qui se marchent sur les pompes. Un azur tourmenté qui crache ses premiers éclairs, ses premières griffures électriques déchirant la trop brève quiétude acoustique, laissant place à une angoisse saturée. Une anxiété qui vient cannibaliser le morceau, qui te force à écouter, fébrile, les mains crispées sur les accoudoirs de ton vieux fauteuil en cuir. Faut dire que Young, assommé de fièvre, paumé dans les montagnes hantées de Topanga Canyon, collé à sa guitare, grattant hypnotiquement les cordes, cracha en une seule soirée Cinnamon Girl, Down by the River et Cowgirl in the Sand.
Une nuit brûlante, où le Canadien tiraillé par les visions folles d’esprits indiens millénaires et les têtes de beuh, grasses et juteuses comme le booty de la grosse Kardashian, va transpirer durant cette nuit lancinante à 40°, 3 titres mythiques de sa discographie titanesque.
Une vachère plantée dans le sable, mec ! Une putain de Cowgirl in the sand. Qu’est-ce que c’est que ce merdier ? Faut dire que Young, gavé de fièvre et de marie-jeanne, va laisser aller sa plume dans les méandres de son esprit embrumé. Un hermétisme littéraire plein de miasmes et de THC, un texte énigmatique qui ouvre le champ des interprétations. De l’évolution des femmes dans les années 60 jusqu’à une réflexion sur l’industrie musicale et la perte des idéaux ; ou bien encore le côté vicelard du Loner qui se mate de la baigneuse dénudée sur le sable jaune d’une quelconque plage espagnole. J’ai même un pote qui m’a expliqué, sans trembler du menton, que cette vieille raclure de Neil aurait tenté une "cowgirl inversée" sur une plage déserte de L.A, avec une fan à gros cul, et qu’il se serait chopé une irritation des balloches à force de les laisser traîner sur le sable, non mais j’te jure ! t’en fais ce que t’en veux des paroles mon pote, l’essentiel n’est pas là finalement. Elles veulent tout dire ces paroles, elles marchent avec toi sur ton chemin de vie, elles collent à ton vécu et te susurrent des souvenirs oubliés dont tu ne saurais dire s’ils ont bel et bien existé.
Parce que les mots de Young ne voyagent jamais seul, ils transportent dans leur putain de valoche des tonnes de stridences électriques, des kilos de douceurs Folk et d’harmonies sombres et désespérées, aussi noires que le blues des ancêtres. Parce que dans Cowgirl in the Sand, c’est la guitare de Young qui vient te saisir ; délicate, cassante. Une satu’ qui n’assume pas sa fragilité, une gratte qui veut gueuler mais dont la voix s’éraille d’émotion. Young crache ses solos lentement, tâtonne sur son manche, cherche les notes, indécis, incertain, comme les doigts d’un jeune puceau dans la culotte de la voisine. Un puceau magnifique, bouleversant d’inexpérience, pas tout à fait innocent et pas encore vraiment vicieux ; dont les doigts encore tremblants savent déjà caresser aux bons endroits et empoigner là où c’est nécessaire. Une baise ingénue, candide, presque maladroite, mais qui touche juste à chaque fois. Un geste mal assuré, mais qui frotte au bon endroit. Elle est là, l’émotion de Young, dans cette beauté imparfaite, dans cette guitare et ces mots qui semblent se chercher, cette beauté fragile, cassante comme du cristal. Comme la voix douce et haut perchée du grand Neil qui navigue sur son fil, tanguant de gauche à droite, sans jamais perdre cet équilibre précaire qui fait de cette instabilité auditive une permanence musicale géniale et de cette fausse fragilité sa véritable force créatrice.
https://www.youtube.com/watch?v=SNl13t9ZtmA