Premier livre de la prolifique Brittainy C. Cherry que je lis, The Problem With Dating représente bien la limite du genre de la New Romance, sérialisé, standardisé, pré-découpé sous-vide pour les tags Goodreads et les hashtags BookTok. Il y avait en effet tout ce que j’aime a priori comme tropes : ennemies-to-lovers, fake dating, des petits chiens... Mais encore faut-il en faire quelque chose.
Il est question ici de Yara Kingsley, middle-child d’une sororie orpheline de mère (les deux autres sœurs auront leur propre tome, évidemment). Yara est solaire, adorable, gentille, tenancière d’un salon de toilettage canin dans la petite ville de Honey Creek, Illinois. Elle est harcelée par son ex-mari toxique, enfant chéri du bled et chef de la police locale, Cole, mais va enfin connaître le véritable amour avec Alejandro, dit Alex, chef étoilé débarqué de Chicago qui ouvre un nouveau restaurant – je vous le donne en mille – devant l’échoppe de Yara.
On est donc en terrain plus que connu. L’autrice a du métier et c’est justement la limite principale du bouquin. On a l’impression qu’elle a tiré ses tropes d’une boîte à chaussures comme au loto : hop, ennemies-to-lovers, doublé d’un grumpy/sunshine, saupoudré de fake dating, et le numéro complémentaire, small town. Avec des chiens par-dessus le marché, et un vague fond psychanalytique de peur de l’abandon et de deuil pour faire tenir tout ça. C’est très paresseux, les personnages secondaires n’en sont pas vraiment - à part les sœurs parce qu’il faut essayer de justifier la trilogie, mais à peine. On ne croit pas vraiment aux deux héros, et surtout pas Alex dont les chapitres sonnent toujours faux. Le roman alterne entre le point de vue interne de chaque personnage, et les pensées d’Alex sont simplement impossibles (« J’avais cru que Catie serait l’un des personnages principaux du roman de ma vie, mais il s’était avéré qu’elle n'en serait qu’un personnage secondaire éphémère », p. 35, « Elle était lumineuse, ce qui me perturbait, moi qui étais tellement familier de l’ombre », p. 77, « Elle devenait mon café fort du matin et mon gin favori du soir », p. 288). Et puisqu’il est chef étoilé, il y quelques scènes de cuisine, et là c’est la catastrophe, on croirait que l’autrice n’a jamais tenu une casserole de sa vie. En même temps, elle est Américaine, donc on peut lui pardonner…
Yara est de loin la plus réussie, avec quelques formules qui m’ont fait rire, pas forcément pour de bonnes raisons (« Je regrettais que les gens ne ressemblent pas plus aux chiens, sauf lorsqu’ils mangent leur vomi ou font des crottes partout. Les chiens ne font pas semblant. Les humains… c’est moins sûr », p. 47, « Oh là là. Il flirtait avec moi. / Enfin, je pense qu’il flirte. Peut-être. Je n’en sais rien. / J’étais celle qui parlait à l‘oreille des chiens, après tout. Pas à l’oreille des hommes », p. 134). Sa trajectoire d’émancipation est assez touchante. L’autrice est une styliste très inégale, capable de belles formules (« Il sourit à son tour et j'aurais voulu que mon cerveau fasse une photographie mentale de la façon dont les commissures de ses lèvres se relevaient », p. 172) comme de phrases vraiment très inquiétantes – d’autant que celle-ci est la première du premier chapitre, juste après une citation de Kant dont on se demande ce qu’il vient faire là :
La feuille aux couleurs éclatantes tombant en tournoyant de l’érable, dans l’allée de ma sœur aînée, était le premier signal du changement de saison. L’été remballait ses maillots de bain et ses cornets de glace, alors que l’automne se préparait à permettre au potiron de répandre sa saveur au cours des mois à venir. (p. 15)
Waouw. En termes d’incipit, ça se pose là.
La romance en elle-même fonctionne à peu près (sans réinventer la roue, c’est clair) mais le tout est très faible et souffre affreusement de la comparaison avec d’autres livres : sans invoquer Ali « Proust » Hazelwood qui joue vraiment dans une tout autre ligue, The Problem With Dating m’évoque une autre romance fondée sur le deuil impossible d’une aïeule, You, With a View de Jessica Joyce, bien plus réussi et beaucoup plus tenu. Le retournement final, complètement abracadabrantesque, laisse sans voix…
On savait que l’installation du restaurant d’Alex dans ce vieux cinéma désaffecté lui avait été commandé par sa grand-tante chérie, Teresa. Mais on apprend à la fin qu’elle était amoureuse de l’ancien propriétaire du salon de toilettage canin dont j’ai oublié le nom et qui a donné son affaire à Yara, de mèche avec Teresa, pour que les deux jeunes gens se rencontrent et vivent l’amour qu’eux n’ont pas pu, par le biais d’un chien que Teresa a légué post-mortem à Alex, et d’un personnage secondaire, Tatiana, genre de figure maternelle et de Yara, et d’Alex, qui connaissait aussi Teresa. Je ne comprends même pas pourquoi l’autrice a voulu tout relier à la fin.
J’ai lu sur Goodreads que l’autrice ait du sombre au feelgood avec cette nouvelle série ; je n’irai pas vérifier si c’était mieux avant.