[pp. 129-130]
La séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire est la marque de la démocratie. [...] Sur cet aspect, la crise sanitaire a également eu tendance à rapprocher les systèmes partout dans le monde. La a fait fi de cette séparation durant la gestion de la pandémie, placée sous l'autorité d'un Conseil de défense soumis au secret, dont on ne connaissait ni la liste des membres, ni le contenu des délibérations, et dont les décisions prises ont eu des effets immédiats, le gouvernement tenant pour acquis le vote du Parlement et l'avis du Conseil constitutionnel chargés de les entériner. Certes, les garants du droit ont été consultés, mais post facto, sans rencontrer d'opposition à quelques exceptions près : le Conseil d'Etat a juste supprimé les jauges dans les églises et levé l'interdiction de manifester sur la voie publique. De son côté, la Cour de justice de la République a rejeté les plaintes des citoyens contre le gouvernement pour mauvaise gestion de la crise sanitaire, notamment l'interdiction faite aux familles d'enterrer leurs morts, et le Conseil constitutionnel a validé les mesures punitives prises à l'encontre des contrevenants au confinement. Durant cette crise, l'efficacité de l'Etat et son immunité ont été les principales préoccupations des instances républicaines, les gardiens du droit étant les garants du pouvoir.
[pp. 132-135]
Les libertés prises par les Etats ces derniers temps pour faire face aux menaces terroristes et/ou sanitaire, augurent mal des garanties généralement données concernant l'usage des outils numériques puisque les pouvoirs publics se réservent le droit de les utiliser en fonction de situations sur lesquelles ils ont un monopole d'appréciation. Trois moyens sont généralement mobilisés pour qu'une politique imposée soit acceptée par l'opinion publique : maîtrises les sources d'information, diriger l'attention générale vers un même but, une même problématique, et faire peur pour susciter un besoin sécuritaire que l'autorité se propose de satisfaire. Face à la menace terroriste comme dans la crise sanitaire, ces méthodes ont été utilisées contement, provoquant un état de sidération qui permet de comprendre pourquoi les mesures liberticides prises ont reçu un assentiment quasi général.
Des mois durant, l'humanité à vécu sous une avalanche de chiffres, statistiques, données catastrophiques sur la progression de la pandémie. Les médias ont égréné quotidiennement morts, contaminations, hospitalisations. Effrayer est un moyen de décupler l'attention : 40% des informations rapportées par les médias américains relèvent de la peur, a noté une étude sur leur contenu publiée avant la pandémie. L'immédiateté du numérique facilite la diffusion de la peur, tout comme la prévalence croissante de l'image sur le texte renforce le pouvoir de sidération des mauvaises nouvelles. La crise sanitaire, "succès médiatique" mondial, a été un grand moment d'effroi.
Fort de l'expérience, les autorités françaises ont mis au point un système d'alerte d'urgence, à destination des téléphones portables, afin de prévenir et de mobiliser la population en fonction de dangers tels qu'attentats, épidémies, catastrophes environnementales, etc. [...] Ce dispositif de précaution et de protection, nommé FR-Alert, qui répond sans doute à un besoin face aux menaces qui guettent, risque en même temps d'entretenir un climat anxiogène, propice à faire accepter de nouvelles restrictions de nos libertés au nom de la sécurité de tous.
La peur est un vieux compagnon de l'homme. De tout temps, nous n'avons cessé de vouloir nous en libérer en cherchant des moyens de se rassurer, de se protéger, avant de retomber sous son emprise. [...] En même temps, la peur n'a cessé d'être une arme aux mains des pouvoirs pour régner. Désormais, avec le monde à nos portes, la peur peut avoir un effet dévastateur que la propagation par les réseaux sociaux amplifie [...].
La peur tétanise, elle favorise l'instinct grégaire pour se protéger, elle pousse à l'obéissance, elle est un facteur d'ordre. La peur de la mort a été utile aux gouvernants pour faire accepter le confinement en réponse à la pandémie. Le monopole de l'information détenu par un "conseil scientifique" a renforcé en chacun la dépendance à l'autorité, au point de nous faire apprécier la rapidité avec laquelle l'appareil de surveillance, et de répression, s'est mis en place pour nous protéger, "les uns des autres" selon la doxa du moment, pendant que la politique sanitaire cafouillait au plan prophylactique.