Du style mais un peu déçu

Bernanos est un écrivain à la trajectoire politique plus complexe qu'on ne veut bien le croire au premier regard. Tout d'abord franquiste, il comprendra peu à peu l'horreur de ce régime et réglera ses comptes, marquant sa rupture idéologique avec Franco, dans son pamphlet Les Grands cimetières sous la Lune. Catholique, croyant de bout en bout, il n'en sera pas de même pour son penchant monarchiste, finalement assez fluctuant au fil des années.


Georges Bernanos n'a rien du fidèle soldat, c'est un homme qui est mouvant politiquement mais qui trouve sa constance dans la foi. Pour en revenir à sa veine de pamphlétaire, car Bernanos fut aussi un romancier (Sous le soleil de Satan par exemple), on considère souvent La Grande peur des bien-pensants comme sa première incursion dans ce genre qu'est le pamphlet (qui peut prendre différentes formes d'écriture).


Dans ce livre, Bernanos retrace l'itinéraire de Drumont, figure importante de l'antisémitisme français (La juive). Il le cite abondamment, restitue son histoire et sa pensée, mais livre également ses propres commentaires sur la Troisième République. La plume de Bernanos est séduisante (mêlant le soutenu et le trivial), tout comme ses vues politiques, presque prophétiques parfois. En effet, dans l'extrait ci-dessous Bernanos évoque l'uniformisation des cultures et des moeurs (sur modèle américain) et la perte des traditions (ce qui va de pair).


Au fond, via cette saillie à la fois visionnaire et nostalgique, Bernanos met en garde contre la destruction de l'homme dans ce qu'il a de plus abstrait (sa nation, sa culture singulière, etc.) au profit du type "consommateur". Une critique qu'on retrouvera plus tard chez des romanciers comme Michel Houellebecq (Interventions par exemple). Penser au é, c'est aussi s'inscrire dans une dynamique, dans un destin, donc apporter une grandeur et une ambition à un quotidien qui en manque cruellement. C'est aussi penser à la paix sociale, chasser la colonisation culturelle des uns et le communautarisme des autres. En effet, sur quoi se retrouver aujourd'hui si l'on liquide cette tradition chère à Bernanos (une tradition qui appartient au pays sur lequel tout le monde se trouve). Néanmoins, l'origine migratoire de certains français (comme le é esclavagiste des Antilles) complexifie le sujet.


C'est toute l'opposition du peuple (un et indivisible, abstrait) et de la communauté (ethnique, culturelle) qui se profile. Tenter de conjuguer les deux, c'est probablement le grand défi de la actuelle. Pourquoi ne pas chercher du côté de notions abstraites mais unificatrices comme la nation ou du côté d'une culturelle ancestrale et nationale (et non exclusivement communautaire, du type chacun son pré carré) ?


« Je plains ceux qui ne sentent pas jusqu’à l’angoisse, jusqu’à la sensation du désespoir, la solitude croissante de leur race. L’activité bestiale dont l’Amérique nous fournit le modèle, et qui tend déjà si grossièrement à uniformiser les mœurs, aura pour conséquence dernière de tenir chaque génération en haleine au point de rendre impossible toute espèce de tradition. N’importe quel voyou, entre ses dynamos et ses piles, coiffé du casque écouteur, prétendra faussement être à lui-même son propre é, et nos arrière-petit-fils risquent d’y perdre jusqu’à leurs aïeux. »

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le 5 janv. 2016

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Al Foux

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