Je ne sais si j'ai aimé ou détesté Pessoa. Je reprends donc le clavier pour essayer d'y voir un peu plus clair.
Je n'ai rien à lui reprocher, ni sur le fond, ni sur la forme. C'est un écrivain de génie, il plie la langue à sa volonté, elle devient aussi multiple que lui-même. Il énonce nombre de vérités, aussi belles que tragiques. Tour à tour épicurien (pas au sens des petites annonces de vieillards libidineux du nouvel obs), stoïcien, hégélien.
Non, ce n'est décidément pas l'oeuvre qui m'embête, c'est lui.
L'intranquillité compile une quantité de fragments, souvent poétiques, éclairants, mais toujours anxiogènes et nombrilistes. Chacun de ses mots me blesse comme un poignard, au point d'avoir ajourné cette lecture depuis un an.
Pessoa/Soares me fait penser au Des Esseintes de Huysmans, orphelin de Dieu, il ne consent pourtant pas à se vautrer dans un nihilisme confortable. C'est un petit garçon occupé à gratter inlassablement les croûtes métaphysiques à ses genoux.
(Cela dit, quand j'entends parler de Kierkegaard, je me dis que la foi n'est pas forcément d'une grande consolation...)
D'un idéalisme forcené, il méprise la substance, mais comment peut-on nier son être? Il analyse les couleurs d'un coucher de soleil, pleure avec la pluie, décortique les rapports humains avec moult cynisme. Pessoa ne vit plus, il écrit. Sa souf est pourtant la preuve qu'il n'a pas réussi à déer l'émotion qu'il abhorre.
J'ai eu envie de noter quasiment chaque age de ce livre pour le relire, le méditer, le partager. A posteriori, je suis soulagée, de ne pas, comme lui, me laisser happer par le vertige métaphysique, dans une chute sublime et sans fin.
Je crois que j'ai mal lu Pessoa, l'aspect fragmentaire du texte appelle à une lecture occasionnelle, au gré de son humeur. A le lire d'un bloc, je me suis provoqué moi aussi, une crise de foi.