Un court roman hongrois fulgurant à la densité folle où Krasznahorkai nous donne une leçon de virtuosité romanesque.
Les dernières pages de La mélancolie de la résistance publié en 1989 relatant dans les moindres détails les processus à l’œuvre dans le phénomène de la décomposition des corps étaient somptueuses, à la manière du poème de Baudelaire intitulé « La charogne » ; ce texte, publié en 2019, constitue une sorte de brûlot envers l‘intelligence des hommes qui les pousse à la destruction de la vie ; celle de la nature, mais celle des hommes eux-mêmes dont les récits ne remplissent plus les fonctions créatrices et salvatrices qu’ils ont eues jusqu’alors.
Dans une longue et unique phrase, les récits s’empilent comme des poupées russes. Un homme à la fin de sa vie intellectuelle raconte à un barman indifférent ce que lui a raconté un garde-chasse dont les paroles sont rapportées par une traductrice à cet intellectuel qui ne pense plus et s’exprime à la première personne. Derrière ces mises en abyme, se trouve le récit du dernier loup tué en Espagne en 1985, dissimulant lui-même le récit de la dernière meute tuée après ce « dernier » loup naturalisé et exposé dans une vitrine. Et derrière ce récit, se trouve la mort du dernier représentant d’une espèce animale massacrée consciencieusement durant des siècles, jusqu’au dernier.
Nous sommes comme ce barman, indifférents et fatigués d’entendre des mots sans arriver à atteindre la réalité de ce qu’ils racontent. Nous sommes, nous lecteurs, comme cette traductrice en pleurs, et qui ne peut plus traduire le récit de la dernière louve massacrée facilement car elle portait ses petits.
La littérature comme témoignage impossible ou comme gardienne impuissante de la folie des hommes ?
Krasznahorkai pose la question essentielle en se gardant bien d’y répondre.
Ou peut- être sa réponse est- elle son livre lui-même, ce qui ouvre un espoir...
A lire !
Merci à Valmont de m'avoir fait découvrir cet auteur!