Ce n’est pas chose aisée que de juger un texte qui a traversé les siècles, et dont le nom est devenu un nom emblématique de la littérature française. Sans doute haï par des milliers de lycéens, adoré par des milliers d’autres, la princesse de Clèves ne semble pas laisser indifférent.
La lecture est étonnamment fluide. La langue, bien que datée, ne pèse jamais : elle enveloppe les dialogues d’un voile de délicatesse, où chaque aveu est un demi-mot, chaque émotion une retenue. J’aime beaucoup ce langage d’époque, qui donne une vraie profondeur aux conversations et aux personnages. J’ai adoré les litotes, les atténuations, cette manière de parler en se taisant, de confesser sans dire, de manier les mots avec subtilité dans le contexte politique de la Cour royale.
Le tableau de la Cour avec ses petites intrigues, ses noms à rallonge, ses titres peut sembler très lointain au lecteur moderne. On s’y perd parfois, on s’en lasse, mais il faut rendre justice au texte : les longueurs ne peuvent guère s’étirer, puisque l’œuvre entière ne dée pas les 250 pages. Ce que Madame de Lafayette critique de la Cour, je l’entends mais je n’y suis pas particulièrement réceptive : les étiquettes, les rôles, les ragots, les trahisons… tout cela me touche peu car c’est une époque trop éloignée en percevoir pleinement les enjeux. Dans ma lecture moderne, cela contribue simplement à un rendu “d’époque” qui permet de mieux s’immerger dans l’ambiance et le récit.
J’ai été touchée par le tiraillement intérieur de cette femme, si droite, partagée entre l’homme à qui elle a juré fidélité et l’homme vers qui son cœur la porte réellement. Au-delà d’une loyauté sans faille à son mari défunt, c’est à elle-même qu’elle reste fidèle, à une exigence morale qu’elle refuse de trahir, même au nom de l’amour. J’avoue que cette posture m’a paru d’autant plus compréhensible que je n’ai pas été émue par “l’amour” entre Madame de Clèves et Monsieur de Nemours. Comment aimer un homme à qui l’on n’a jamais parlé ? Je n’ai perçu aucune complicité entre eux, seulement une ion peut-être instinctive, physique, qui me laisse de marbre. Elle a raison, selon moi, de ne pas sacrifier sa réputation et son honneur pour un coureur de jupon dans ce genre, aussi irrésistible soit-il.
Les hommes conservent-ils de la ion dans ces engagements éternels ? Dois-je espérer un miracle en ma faveur ? et puis-je me mettre en état de voir certainement finir cette ion dont je ferais toute ma félicité ? M. de Clèves était peut-être l’unique homme du monde capable de conserver de l’amour dans le mariage. Ma destinée n’a pas voulu que j’aie pu profiter de ce bonheur ; peut-être aussi que sa ion n’avait subsisté que parce qu’il n’en aurait pas trouvé en moi ; mais je n’aurais pas le même moyen de conserver la vôtre : je crois même que les obstacles ont fait votre constance.
Il y a néanmoins des ages profondément émouvants, et pour moi, ils sont tous liés à Monsieur de Clèves : la scène des aveux, et celle de sa mort. J’aurais aimé que la princesse pût aimer son mari, ce personnage droit, dévoué et fragile. Mais ce roman nous rappelle que le cœur ne se commande pas, et que lorsque l’amour n’est pas là, rien ne saurait combler ce manque. À une autre époque, la résolution de ce dilemme aurait sans doute été plus simple. Mais cette époque là n’était pas l’amie des cœurs.
La princesse de Clèves est, pour moi, prisonnière d’une époque et de ses mœurs. Et pourtant, d’une certaine façon, en refusant de laisser sa vie dicter par une ion animale et déraisonnable, elle fait preuve de liberté. Elle dirige sa vie selon sa conscience, selon ses valeurs, et non selon ses émotions.
Je pense être un peu ée à côté, car je n’ai jamais vibré pour la princesse ni pour son Nemours. J’ai iré sa droiture ; peut-être l’aurais-je détestée si j’avais cru en sa ion. Ce fut une lecture agréable, mais elle ne m’a pas profondément marquée.