L'engagement du spectateur

Écrit en plein pendant le siècle de Sartre, l'opium des intellectuels est le grand ouvrage par lequel Raymond Aron a décidé de se démarquer de la vision sartrienne et communiste dominante l'intelligentsia de son époque.
Dans cet ouvrage Aron souhaite démontrer et démonter plusieurs mythes tenus pour acquis par la gauche de son époque. Le premier, celui de la révolution comme fin (Aron explique de manière convaincante qu'il ne s'agit que d'un moyen d'action). Le deuxième celui de prolétariat, estimant que la construction intellectuelle de cette classe supposée porteuse des révolutions futures n'a rien d'évident. Le troisième celui du sens de l'histoire qui, nécessairement devrait aboutir à la société sans classe du communisme, en s'appuyant notamment sur les difficultés de raisonnement du mécanisme du capitalisme qui s'autodétruirait inéluctablement.
Au-delà d'une critique riche et nuancée, Aron souligne les raisons qui lui font considerer le communisme comme une religion, séculière mais néanmoins religion néanmoins. Il commence par distinguer ce qu'il considère comme l'échec de la démonstration scientifique du marxisme et de souligner qu'il n'en reste qu'une version prophétique, millénariste, dont le dogme, forgé en Union soviétique par le parti est le seul valable, qu'il s'accorde ou non avec les faits.
Si cet ouvrage, appellant à la modération et à la prudence reste toujours d'actualité c'est qu'il a su mettre le doigt sur les difficultés intellectuelles du communisme soviétique au-delà d'un discours moralisateur stéréotypé ou réactionnaire et qui mérite, que l'on partage ou non sa vision - pour ma part je ne suis notamment pas convaincu par le fait que les grandes idéologies étaient des religions mêmes si elles ont pu se substituer au vide religieux ou sa vision très positive des sociétés libérales même si je mesure leurs avantages et qu'ils devaient, époque oblige, être mieux mis en valeur - une attention renouvelée. Car ce spectateur, pour engagé qu'il fût comme l'assumait d'être Aron, nous offre ici un regard élaboré et fait l'effort, au-delà de la provocation du titre pour tout marxiste qui se respecte, de chercher respecter une rigueur intellectuelle exemplaire.

8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Bibliographie de culture générale - essais, romans et oeuvres diverses

Créée

le 8 déc. 2021

Critique lue 280 fois

9 j'aime

5 commentaires

Lestrade

Écrit par

Critique lue 280 fois

9
5

D'autres avis sur L'Opium des intellectuels

le temps récompense parfois...

Aron est un penseur brillant. Brillant car lucide. A l'époque où il sort son livre, les grands intellectuels suivent au garde-à-vous le dogme communiste sous toutes ses formes y compris la pire le...

Par

le 24 nov. 2019

4 j'aime

Splendeurs et misères d'un intellectuel du Siècle

Il est amusant de constater en parcourant ce vieil écrit de combat, combien Raymond Aron revient parfois sous la plume d'anciens gauchistes rangés des camions pour châtier les dérives de leur...

Par

le 15 oct. 2023

2 j'aime

Du même critique

L'opium des intellectuels 3.0

Dans ce bref essai, d'environ 170 pages Nathalie Heinrich s'attaque, après d'autres, à un thème très en vogue dans le débat public contemporain : le wokisme, avec un titre accrocheur qui laissait...

Par

le 28 mai 2023

6 j'aime

11

Un pamphlet contre un polémiste

Petit exercice de rétablissement, non des faits, mais plutôt du point où se trouve la recherche historique sur bien des sujets invoqués par Eric Zemmour. Y sont abordés notamment : - Clovis - Les...

Par

le 27 févr. 2022

6 j'aime

1

Indiana Jones et le script de la destinée

Tout est dans le titre. Je n'ai pas é un mauvais moment. Il y a de l'action, des choses drôles, un troll gratuit sur l'humour allemand et Harrison Ford incarne bien un héros vieillissant après un...

Par

le 30 juin 2023

5 j'aime

1