L'oeuvre de solitude

Texte sans point ni majuscule. Flot pris dans les souffles des points-virgules. Grand récit qui va comme un chant parfois douloureux - Robinson, et autre que Robinson : dans l'interstice, dit Chamoiseau, entre Defoe, Tournier ; et l'enfance.

Naissances, multiples. Pas de souvenirs, mais une structure d'enquête permettant, depuis les objets, de reconstruire les scripts : nom à incarner dans l'inconnu de l'île, prime expression, qui ne cherche à être comprise (tout comme la littérature, je suppose) - mais à d'abord construire l'intime d'une autorité, sensorialité, enfouie sous le bazar du civilisé devenu bête à se couper du corps de jouissance, de la matérialité de l'île, altérité constructive et terrifiante.

Au tard des pages que le grand-style de Chamoiseau tresse souvent poèmes, sonnent d'anciens grecs que le lecteur philosophe reconnaît là sans peine - l'auteur en donnera les clefs, l'on se rassure ! Et l'influence de Heidegger, aussi, tournures autant que lexique - celui-là qui peut s'accorder aux grands-mots de la pensée du tout-monde, deleuziens, plutôt, quant à eux : on parlera ainsi moins rhizomes qu'ouvert.

Roman de l'Autre, plutôt que de l'Un ; initiatique pourtant, à l'instar du Vendredi de Tournier, mais atant le devenir autre au devenir soi-même, jusqu'à ne trouver plus que la spontanéité du flux et la rectitude errante de l'homme - immanence de la relation, possibilité de la rencontre.

Ici, l'on connaît la nature des labyrinthes. Ce ne sont pas ceux où Eco, grand Dédale littéraire, enferme à demi son lector in fabula en compagnie des minotaures - mais de ces structures plus fragiles où, avec l'auteur même, l'on est pris, et dont on doit bien s'accommoder, Minotaure de soi-même : totalités disjonctives et proliférantes, de la valse des identités, insatisfaisantes toutes, de leurs abandons et de leurs résistances, et des miroirs qu'elles plaquent, en désaccord, sur ce qui est.

Le tout dans l'ivresse végétale des grandes floraisons, la compagnie des bêtes amicales, vives, rétives et indifférentes, et le ciel, coque d'ivoire, couvercle hermétique où sont pris les signes et les sens dans le face à face décidément impossible avec le monde tant que reste insu et non assumé l'indicible compagnon de tout dire.

Et puis l'empreinte.
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mythes, Légendes émerveilles

Créée

le 12 mai 2013

Critique lue 963 fois

8 j'aime

1 commentaire

Kliban

Écrit par

Critique lue 963 fois

8
1

D'autres avis sur L'Empreinte à Crusoé

Du même critique

Critique de Le Premier Sexe par Kliban

Impossible de mettre la note minimale à Zemmour. Non parce que le livre vaudrait quelque chose. Objectivement, le lire est une perte de temps - sauf pour ceux qui sont déjà convaincus et se...

Par

le 14 nov. 2010

48 j'aime

22

Tao-tö king
10

Autant en emporte le vent

Noter le Tao Te King, c'est noter le vent et c'est noter une traduction. Comme le site n'et pas les doublons, je note le vent. Et comme le vent e toutes les notes, mon humeur étant à cette...

Par

le 7 nov. 2010

46 j'aime

Alice au pays des merveilles
10

Top Disney

C'est sans doute l'une des meilleures adaptation des studio Disney. Et on ne peut malheureusement la goûter si on ne connaît pas son Wonderland et Looking Glass sur la bout des doigts ou presque...

Par

le 24 déc. 2010

40 j'aime