D'un point de vue plaisir de lecture, ce fût divertissant, et je ne me suis jamais ennuyée : l'écriture est enlevée et les rebondissements juste ce qu'il faut pour avoir envie d'y revenir, sans les ressors un peu grossiers d'un vaudeville romanesque. J'ai été particulièrement emportée par l'évocation du pays minier britannique, où les riches propriétaires terriens regardent la fin du vieux monde et cancanent sur les masses laborieuses. C'est finalement ce pan du roman moins connu qui m'a beaucoup intéressé : le regard du monde aristocrate sur le basculement industriel du pays, entre nostalgie et appât du gain, le point de vue nihiliste d'un garde-chasse éduqué, qui méprise autant les grands que les petits. La synthèse de sa vision est une critique sociale visionnaire, qui malheureusement ne s'est qu'affermit au cours des siècles : l'abrutissement des masses par les illusions de l'argent, la possession, la consommation. La laideur morale des riches, qui, non contents d'être du bon côté de la barrière, courent après la "déesse-chienne du succès".a
Constance ressent le désespoir de cette époque en bascule, dans la sensualité qu'elle trouve ternie partout où elle va : les conversations des salons, les mines hagardes des ouvriers en ville, l'ambiance suffocante de la propriété... Autour d'elle le monde ne lui semble que mortifère et hypocrite. Elle recherche des respirations de vie dans la Nature et est fascinée par le garde-chasse, qui semble cultiver sa singularité dans un monde uniforme.
Mellors analyse le basculement avec son intellect (how original !) mais ça donne lieu à des discussions percutantes qui montrent bien l'état d'esprit de Lawrence, et aussi la portée moraliste de son œuvre.
Finalement, les épanchements érotiques de Lady Chatterley ont peu d'intérêt en comparaison : c'est souvent niais, assez invraisemblable et manifestement l'œuvre d'un homme qui semble peu au fait des subtilités féminines. J'ai trouvé que l'héroïne était une caricature de la figure féminine fantasmée par l'homme, un terrain à conquérir, à pénétrer, une soumission candide face à l'agentivité masculine. Constance est souvent présentée comme une matrice destinée à être remplie, soit par l'homme, soit par un projet d'enfant. Elle est souvent ive et dévoué à Mellors, que j'ai trouvé inable. Je ne peux pas être trop dure avec ce roman au regard de l'époque à laquelle il a été écrit, mais je ne l'ai pas trouvé spécialement novateur sorti d'un ou deux "couilles" que j'ai pas vu arriver et qui m'ont fait sursauter !
J'en retiens de très beaux ages sur la nature, qui m'ont fait penser à Zola. Et une critique sociale qui donne du grain à moudre !