Sorti en septembre 2020, le livre d’Usami Rin a remporté le 164ème prix Akutagawa et a connu un succès immédiat auprès des lecteurs avec près de cinq-cents milles copies vendues en 2021. Nouvelle assez courte, même pour un prix Akutagawa, pouvant être lue en quatre à cinq heures, on suit le quotidien de Akari dans son dévouement à la culture des idoles.
A l’apparence d’une simple histoire courte, Usami traite en réalité de plusieurs sujet assez forts dans la société contemporaines – et capitaliste – japonaises abordant de toute évidence le monde des idoles et son obsession du physique mais également, et surtout, de l’aliénation capitaliste et de son rapport à la culture.
La culture des idoles est un refuge pour elle, comme nombre d’individus, qui ne trouve sa
place et n’a aucun plaisirs si ce n’est dans cet univers. Tout le monde peut s’identifier à Akari car qui ne s’est jamais réfugié dans un produit culturel lorsque les choses vont mal (livres, films, musiques ou autre) au point que cela devienne notre phare dans les moments troubles.
Akari est une fille complexé par son corps. Le lecteur le comprend non par les descriptions
qu’elle en fait, mais par le vocabulaire employé dès qu’elle en parle. Ce vocabulaire n’est autre qu’un vocabulaire animalier, préférant parler de 肉 pour les parties de son corps et de 肉体 dès qu’il s’agit de le décrire dans son ensemble. Même pour parler du ciel, ce ne sont pas des termes classiques qui sont employés mais encore une fois des termes relatifs au corps comme 空の胃 pour parler du bleu du ciel et de 液体 pour les nuages. Il est décrit à plusieurs reprises la difficulté avec laquelle elle endure ses cours de piscine, comment enfiler un maillot de bain est un véritable supplice.
Le point le plus important est l'aliénation. L'aliénation aussi bien capitaliste que de la culture. Akari est ainsi plongée dans l’aliénation capitaliste, dédiant toute son âme, toute son énergie
et tout ce qui fait d’elle un individu au profit du oshi. Tout y e : son argent (qui n’est d’ailleurs pas pleinement le sien mais aussi celui de ses parents), ne prenant jamais conscience des sommes considérables qu’elle y met ; son temps, préférant sécher les cours pour aller à des concerts, veiller tard pour la rédaction de son blog s’endormant alors le lendemain en classe. Elle s’inscrit, tout comme les personnes plongée dans une aliénation, dans l’idéologie capitaliste visant à, comme le décrit Guy Debord, à maintenir l’emprise du capital sur la vie.
« L’industrie des loisirs est confrontée à des appétits gargantuesques et, puisque la consommation fait disparaître ses marchandises elle doit sans cesse fournir de nouveaux articles. […] La culture de masse apparaît quand la société de masse se saisit des objets culturels [au point de] consommer littéralement les objets culturels, de les engloutir et de les détruire. Je ne fais pas allusion, bien sûr, à la diffusion de masse. La culture n’est alors pas répandue dans les masses, mais détruite pour se transformer en loisir » - Hannah Arendt, La crise de la culture
Là est tout le paradoxe du livre qu’est Idol『推し燃ゆ』. Elle traite de la culture de masse en
décrivant le quotidien d’une aliénée, mais par la simple description de cette réalité, elle attaque
frontalement le problème de la culture de masse et de l’aliénation. Est sorti à la même période l’anime Oshi no ko『推しの子』 qui parle lui aussi du sujet des idoles mais n’en a absolument pas le même traitement, même si les paroles de l’opening semble être dans une volonté de questionner un peu plus directement les rapports para-sociaux entre les fans et les idoles. Akari semble par ailleurs avoir conscience dès le début de l’ouvrage de cette culture de masse qui la consomme, la première phrase du livre étant 「推しが燃えた。」 ce qui montre comment le oshi la consomme tout autant qu’il s’agit de sa zone de confort.
La scène de fin est particulièrement marquante. Akari décrit dans une scène de cinq pages la façon dont elle prend conscience de la réalité des choses et comment sa ion l’a consumée. Elle décide alors de jeter son bâton de oshi – bâton lumineux que les fans agitent en rythme lors d’un concert afin de créer des effets de lumière et d’encourager le chanteur – comme une ultime action de elle qui quitte sa ion, son loisir, qui l’a tant consumée.
Malgré les sujets et la maîtrise littéraire, Usami Rin a su créer une nouvelle émouvante et
prenante, critique à l’égard de son sujet en abordant non pas la responsabilité individuelle comme aurait pu le faire un auteur pas vraiment consciencieux, mais la question du monde qui l’entoure. Akari n’est qu’une adolescente perdue, qui a cherché un monde pour se réconforter et la société capitaliste a fait ce qu’elle sait faire de mieux : l’exploiter pour en tirer profit. Usami Rin n’a pas fait que traiter la culture de la consommation sous l’angle de l’esthétisme, elle traite un sujet qui concerne la jeunesse japonaise et qui peut par cette simple lecture prendre conscience du cercle dans lequel ils sont. Et si dans le fond, nous n’étions pas tous des Akari à différents niveaux.
Pour faire simple, c’est comme si Yukio Mishima et Eiichiro Oda avait eu un enfant qui s’était mis au marxisme.