Une île comme une cage : entre séquelles de la colonisation, trafic de drogue, braconnage d’espèces protégées et féminicide, le nouveau polar de Marin Ledun raconte l’envers de la carte postale des Marquises.
Le cadavre d’une jeune femme, Paiotoka O’Connor, ayant été découvert sur les hauteurs de l’île Nuku Hiva aux Marquises, le lieutenant Tepano Morel, un « demi » - de mère marquisienne et de père métropolitain - qui n’avait jamais mis les pieds dans l’archipel et la policière locale Poerava Wong sont chargés de l’enquête. Commence un schéma de narration assez classique et linéaire qui, au-delà du suspense de l’investigation, se distingue par sa peinture d’un microcosme îlien et d’un enfermement social bien loin des clichés paradisiaques.
Nuku Hiva, c’est d’abord un écrin de nature et une culture millénaire qui tentent de panser les plaies laissées par la colonisation. Après les terribles conséquences des essais nucléaires et les tentatives d’éradication de traditions et de pratiques culturelles locales fondatrices, comme les chants, les danses, les mythes et les tatouages aux motifs symboliques, les jeunes générations s’efforcent de renouer avec une identité dont leurs aînés ont été coupés. Lui même déconnecté de ses origines et aussi métropolitain que le commun des lecteurs, Tepano se fait nos yeux et nos oreilles dans une découverte riche et dépaysante qui n’a pour autant rien de touristique.
Les étrangers ne se mêlent d’ailleurs guère aux locaux si l’on excepte le tourisme sexuel et la dégustation de gibiers protégés, et c’est en vase clos, à l’arrière des plages et de leurs yachts, dans un silence général d’autant plus bruyant que sur cette petite terre personne n’éternue sans que tous soient au courant, que fermentent pauvreté et violences criminelles sur fond de trafic de drogue, de prostitution et de braconnage d’espèces endémiques en voie de disparition.
Enquête policière prenante, rencontre attachante avec des personnages campés en profondeur, enfin immersion pleine de poésie dans une nature somptueuse et une culture d’une grande richesse : les ingrédients sont réunis pour un polar social et ethnologique de belle facture, qui rend justice à une terre et à un peuple dont la résilience se heurte aujourd’hui à de nouvelles formes de prédation, non plus territoriale, mais écologique et même sexuelle.
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