"Ainsi Néron commence à ne se plus forcer."
Comme d'habitude chez Racine, le texte commence alors que l'action est très avancée, presque même finie. Du coup, dans les premières lignes, l'auteur se doit de nous préciser ce qui a déjà eu lieu tout en nous présentant les personnages. Ça rend l'exposition un peu complexe, mais Racine excelle dans cet art.
Néron a donc enlevé la jeune Junie, la fiancée de son beau-frère Britannicus. Cet acte lui permet d'isoler encore plus Britannicus, dont tout le monde s'est détourné comme s'il était pestiféré. Mais avant tout, Néron cherche à se débarrasser de l'influence de son omniprésente mère Agrippine. Pendant les premières années de son règne, celle-ci avait dirigé Rome en cachette, imposant ses décisions au jeune empereur. Mais Néron, doté de nouveaux conseillers (dont le philosophe Sénèque et le militaire Burrhus) veut prendre son envol. Fini d'être une marionnette entre des mains multiples et contradictoires : Néron va désormais régner seul.
La pièce est donc, avant tout, un texte politique. C'est l'affirmation de la volonté d'indépendance d'un jeune homme manipulé. Pour faire simple, Néron nous fait sa crise d'adolescence. Et c'est alors que sa personnalité s'affirme. Lors de la pièce, les décisions de Néron sont marquées par un grand raffinement dans la cruauté. Il n'est pas forcément responsable que toute l'horreur qui se déclenche autour de lui : l'avidité de ses conseillers et les traditions familiales en la matière constituent des témoins à décharge. Néron était prêt à gracier Britannicus : Narcisse va, en un dialogue, lui relancer cette idée. Quant à Agrippine, elle-même a suffisamment pratiqué le crime pour ne pas pouvoir le reprocher à son fils.
Mais la pièce n'est pas uniquement politique. Néron tombe amoureux de cette jeune Junie qu'il n'avait jamais vue. Cette survenue d'un sentiment inattendu chez le cruel empereur est présentée comme le fruit de son égoïsme : c'est parce qu'elle est la seule à lui résister qu'il tombe amoureux d'elle. Elle est un terrain à conquérir. D'autant plus qu'Octavie, femme de Néron, reste stérile (signe d'une malédiction divine contre la famille ?).
Face à Néron, l'attitude de la mère, Agrippine, n'est pas dénuée d'arrière-pensées. Déçue d'être écartée du pouvoir, elle cherche à reprendre la place qui était la sienne. Elle reste une féroce manipulatrice, n'hésitant pas à utiliser les gens autour d'elle. Avec talent, Racine recule le plus possible la rencontre entre la mère et le fils, créant un suspense qui va crescendo.
Au milieu, Britannicus fait presque pâle figure. Abandonné de tous, il s'accroche désespérément à son seul et unique espoir : que tout s'arrange tout seul, presque par magie. Il se laisse manipuler par tout le monde (même par Junie, sous le contrôle de Néron). Sa crédulité dée les bornes...
Il faudrait parler aussi de Narcisse le traître, de Burrhus le conseiller qui va déchoir, de la qualité de l'écriture, de l'irable organisation de l'ensemble, de l'influence de Tacite (et de comment Racine s'en libère), etc. Mais c'est, de très loin, l'aspect politique et la complexité des personnages qui constituent, à mon avis, les qualités principales de ce chef d'œuvre brutal, violent et ionnant.