Blanche-Neige
7.7
Blanche-Neige

livre de Robert Walser ()

Dialectique et pardon

Les contes jouent sur la logique du déchirement, de la rupture; celle entre enfance et âge adulte, entre campagne domestique et forêt sauvage, vie et mort, vie morte ou mort vivante, dévorement, empoisonnement... Blanche-Neige ne fait pas exception: laissée en état de stase entre vie et trépas, sauvée par la promesse du bonheur conjugal, tirée au monde de la terre et de l'enfance incarnée par les nains par la haine d'une femme dévorée par sa part d'ombre narcissique mortifère (le miroir).

Mais ce monde n'est pas le monde de Robert Walser, oh non... à la rigueur il est celui de Kafka, d'un garçon resté dans les limbes d'un Œdipe dévorant. Celui du suisse vient après, il est celui de l'apaisement et du pardon. Pour un tel homme le drame de Blanche-Neige ne peut se résoudre que dans la réconciliation. "La querelle qui fut n'est plus/L'amour sut vaincre, ici; la haine/devant tant d'amour s'est perdue [...] Vient la douce paix." Tout ça n'a-t-il été qu'un mauvais rêve? Non, sans doute mais c'est comme si... c'est là la force du pardon: on ne peut pardonner que l'impardonnable. Pour être vrai il doit abolir l'offense toute entière.

C'est cet apaisement qui fait tout le prix de l'œuvre de Walser. Il ne s'agit pas d'une béatitude niaise mais bien d'une naïveté durement conquise. Il a choisi de vivre dans le monde de la paix et du contentement, par-delà les déchirements, la violence et la folie qu'il a connu autant sinon plus que tous. Il n'est pas comme on se plait à le dire un faux naïf. Il est bel et bien un vrai naïf qui sait le prix de la naïveté. Kafka n'a pas terminé le Disparu qui devait terminer par une séance de retrouvailles avec les parents. Walser lui semble vivre dans cet élément avec le plus grand naturel. C'est pour cette force invinciblement modeste qu'on l'aime aussi ionnément.

Comme souligné par Kliban, l'édition et la traduction sont très bien faites et rendent parfaitement justice au rythme de l'original.
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste 2015 année glagolitique...

Créée

le 7 févr. 2015

Critique lue 446 fois

2 j'aime

Listening_Wind

Écrit par

Critique lue 446 fois

2

D'autres avis sur Blanche-Neige

Seul le conte a dit ces mots

A cheval entre théâtre et poésie, une "dramolette", au dire même de l'auteur, Blanche-Neige met en scène l'après-conte, et dit la vérité du conte, qui est son mensonge, dans un jeu où chacun des...

Par

le 1 nov. 2010

2 j'aime

Du même critique

Les Démons
10

Ecrire avec un marteau

Pourquoi est-ce mon roman préféré de Dostoïevski ? Kundera a écrit quelque part que Démons est plusieurs romans en un, qu’il amalgame roman psychologique, satyre, comédie, discussion philosophique...

le 17 sept. 2015

49 j'aime

1

Moralités légendaires
10

Oh, délices hermétiques de la langue...

Les "décadents" ne respectent que deux choses, à savoir la langue et le mythe, ce qui revient au même. Les "décadents" n'aiment qu'une chose, à savoir les mots. La réalité devait leur sembler bien...

le 20 janv. 2015

15 j'aime

En Belgique on n'a pas de pétrole, mais du théâtre, ça...!

Maeterlinck est le seul prix de Nobel de littérature dont puisse s'enorgueillir notre cher plat pays et il date de 1911, autant dire du moyen-âge... c'était un peu à la dernière époque connue de...

le 28 avr. 2015

13 j'aime