Betty est un livre touchant, remuant, sous beaucoup d’aspects.
Le point le plus réussi selon moi est peut être la relation entre « la Petite Indienne » et son père. C’est clairement le phare dans la nuit, d’autant plus brillant que la nuit est sombre. Il agit comme un démiurge aux prises avec le réel, tentant de le refaçonner constamment, que ce soit à travers les légendes cherokee, ses sculptures, ses décoctions… Il incarne une vision du monde, à la fois simple et poétique, intime et universelle, qui s’oppose à cette société américaine des années 60, étriquée, jugeante, profondément raciste qui entoure la famille Carpenter. C’est d’ailleurs le déclencheur d’écriture de Betty, celui qui lui lègue la machine à écrire, et par là son pouvoir créateur.
J’ai apprécié également les marginaux de Breathed croisés par Betty : la vieille lesbienne solitaire et coquette, l’ancienne institutrice masquée, le veuf aux ballons… Bien qu’abîmés par le monde, ils ont trouvé tous un moyen de se rafistoler, de composer avec leurs plaies.
Certaines images restent en surimpression sur la rétine quelques temps après la lecture : le fait que la mère de Betty voit notre univers comme le bout rougeoyant d’une cigarette tenue par un homme inquiétant reluquant une jeune femme, cet oiseau crucifié sur le barbelé, la peau terreuse du père, ces récits que le Petite Indienne enfouit au Bout du Monde…
Sur le plan thématique, c’est bien le cycle de la violence qui est au coeur du récit. C’est le personnage de la mère qui en est le catalyseur principal. Elle est autant brisée qu’impitoyable, et tout en étant consciente de l’horreur des sévices qu’elle fait subir à Betty, elle ne peut s’empêcher de les voir se réaliser à travers elle, comme le personnage principal d’une tragédie sociale, dont les Actes sont rythmés par les coups de fusil dans la nuit de Breathed . On garde bien sûr en tête la scène affreuse des chatons… Cette transmission de la haine est bien montrée aussi avec le personnage de la voisine, dont l’envie innocente de jouer au ballon avec Betty est bien vite corrompue par le racisme de ses parents.
Ce qui me fait arriver au point qui m’a un peu dérangé : c’est parfois too much. Alors, c’est compliqué, car je ne sais pas dans quelle mesure le récit est biographique (sur la mère de Tiffany MacDaniel il me semble), mais j’ai trouvé que l’on tombait un peu dans le mélo, notamment pour le sort réservé aux frères et sœurs de Betty. J’ai eu parfois l’impression d’une violence trop spectaculaire, presque gratuite, qui m’était assénée en plein visage. Et je n’ai pas du tout aimé le côté Zolien du livre avec le personnage de Leland, qui porterait en lui les gênes de la violence. Que celle-ci soit héréditaire socialement, comme dit plus haut, c’est indéniable ; dans le sang… juste non.
Mais cela ne gâche en rien le « plaisir » (des guillemets, parce que la lecture de ce livre est tout de même éprouvante) que j’ai eu à arpenter les collines de l’Ohio avec Betty et Landon Carpenter. Merci à Fanny pour ce conseil de lecture!