Consacrer un roman à un fait divers c'est raconter une histoire déjà connue, avec une chute sans surprise, c'est aussi choisir de rendre la parole à des interlocuteurs sans plateau, sans voix, dont l’expression a été résumée voire détournée par les médias. Ici il s'agit d'Alexandre Seurat dont l'histoire de Diana, la Maladroite, qui «se faisait tout le temps mal», est son premier roman.
Je suis toujours très curieux des premiers romans, loin des nouveautés des supermarchés des livres (mais aucun ostracisme par rapports aux seconds romans ou les confirmés…). J'ai ainsi découvert Alexandre Seurat, auteur de La Maladroite (éd. La brune au Rouergue, août 2015). On sait l'importance du fait divers dans l'inspiration des écrivains, comme si le romanesque, s'inscrivait dans une recherche de sens du réel. Mais ce n'est pas mon propos, je veux surtout dire l'intérêt que je trouve à ce roman!
Pas d’explications sur le choix, pas d'introduction de contexte. Simplement l'institutrice de Diana, qui au vu de l'annonce de la disparition de la petite fille s'exclame dans le prologue, «je la sais en danger, elle me regarde, comme si elle guettait de moi ce que je peux faire, ce que je vais faire. Mais dans le cauchemar, je sais que tout est déjà trop tard pour elle, elle me regarde, je ne peux rien faire, et je voudrais qu'elle me pardonne».
Ceci c’est déjà du roman, nous situant d’emblée ouvrant vers huit chapitres, un puzzle où les protagonistes ont la parole à tour de rôle, une sorte de monologue où ils se croisent, se complètent, s'interrogent, nous disent quelque chose d'eux mêmes.
La grand-mère décrit, tout le long ses craintes, son désir, ses initiatives pour faire d’abord reconnaître Diana, pour la voir, pour l'aider, pour la sauver.
La tante, qui trouve depuis toujours la relation bizarre entre sa mère et sa sœur-aînée, mère de Diana. Elle ne comprend pas ou en comprend trop, elle la trouve inable, a peur de juger, de signaler.
Parfois l'enfant parle «tu peux dire à mamie que je vais très bien. Pourquoi elle demande ça?». Ou alors le grand-frère «ça se e bien, pourquoi ça se erait pas bien» répond-il à l'institutrice qui lui avait demandé «comment ça se e avec Diana à la maison».
Le médecin scolaire qui «avec le peu d’éléments qu'elle avait, était déjà prête à tout faire remonter à l'Aide sociale à l'enfance». Mais l'institutrice temporise, «il faut surtout éviter de rompre des liens familiaux».
Les directrices d'école, chacune apporte sa compréhension des contradictions familiales autour de ce qu'elles perçoivent de la vie de Diana. «J'essayais de me rassurer: les services sociaux allaient incessamment se saisir de l'information préoccupante».
Le pédiatre hospitalier et l'équipe de Necker ont pris la décision d'écrire à l'Aide sociale à l'enfance «des lésions cutanées ou lésions osseuses pourraient être secondaires à une maltraitance ou négligence».
Pour les bureaux de l'Aide Sociale à l'enfance «des suspicions ne suffisent pas pour relancer au pénal une affaire classée par le Parquet» quelques mois plutôt .
Et les uns et les autres expriment ainsi leurs doutes, leurs interrogations, le gendarme, le policier, la gendarme qui l'a interrogé, «avec elle, les mots paraissaient pris d'un tremblement, soit qu'elle se trompe sur leur sens, soit que ce soient les mots eux-mêmes qui ne convenaient pas à ce qu'elle voulait dire ou ne voulait pas dire».
Les mots de l'auteur ne tremblent pas, et sont discrets pour décrire l'impensable. Il nous convie à percevoir de «l'intérieur» de chaque personnage ce qu'il observe, ce qu'il ressent, ce qu'il perçoit. Une intuition qui permet de penser, d'analyser et pas toujours de le dire.
* L'affaire Marina
Alexandre Seurat a apporté un nouveau regard, si on peut le dire ainsi, à la vraie histoire de Marina (décédée en août 2009, victime de maltraitance, des sévices infligées par ses parents). Son roman nous prend dès le début et aide à comprendre, par le découpage des séquences, par la précision des remarques, par l'ajustement des pièces du puzzle, comment le calvaire de la petite fille s'est mis en place, l'engrenage mortifère des parents, le désarroi de la famille élargie. Les hésitations et les incohérences du système social, éducatif, médical, judiciaire ayant eu, peu ou prou à connaître, à étudier, à juger, en amont ce qui est devenu un dramatique fait divers! L'amour de cette petite fille, qui a toujours défendu ses parents, ses bourreaux, dont elle semblait craindre l'abandon; le détachement (?) et l’irréversible vécu du grand-frère.
Les faits divers et ceux de l’enfance ou de la maltraitance en particulier sont toujours très difficiles à saisir tel qu'ils s'affichent sur les manchettes des journaux ou les flash au JT de 20 heures. Le grand public, comme on dit, attend des détails croustillants (Marina enfermée dans un bloc de béton par un père monstrueux avec la complicité d'une mère soumise). Et une fois qu'on a appris ça, les questions-réquisitoires abondent, que fait la police, les assistantes sociales et l'institutrice n'a rien vu et le médecin de famille pas content avec ses 23€ de consultation. Et les juges laxistes… bref, l’inable n’est comblé que par la faute de quelqu’un, l’accusation d’un ou des responsables. Dans ce sens, ce roman est «indispensable» pour mettre fin aux récits réducteurs et dangereux.
Alexandre Seurat, avec fluidité nous laisse entrevoir la complexité des choses et des personnes, et nous offre une écriture sans fioritures et qui sonne juste.
https://blogs.mediapart.fr/arthur-porto/blog/230216/la-maladroite-le-roman-d-un-fait-divers