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Des femmes qui s'aiment, SCH sur la voie de droite et un public en PLS.
Mes lecteurs fidèles du journal cannois sont peut être surpris de ne plus voir mentionnée la fameuse billetterie qui m'a causé tant de soucis les années précédentes. Le rituel de 7h du matin est pourtant toujours aussi important, et à l'heure où j'écris ces lignes, j'ai le regard rivé sur l'horloge pour ne pas manquer le précieux rendez-vous. Les conditions sont désormais plus stables (aucun crash à déplorer, le site est solide), et j'ai suivi un entrainement spécialisé durant toute l'année précédente, basé sur le zen des moines shaolin, le ryhtme cardiaque de Martin Fourcade et les leçons de vie d'Inoxtag pour pouvoir, chaque matin, cliquer à l'endroit nécessaire pour mes réservations. Précision du geste, décompte des secondes avant 7h00, repérage de la séance, enchainement des actions, recadrage de la fenêtre, durée du clic, rien n'est laissé au hasard. Mais il arrive toujours qu'à 7h00 et 1 seconde, des séances soient complètes. J'en déduis que je ne suis encore qu'un padawan par rapport aux vrais maitres. On constate d'ailleurs que les séances complètes se libèrent bien moins que les années précédentes, où la souplesse était plus grande. Dans une file d'attente, il n'est pas rare de voir les gens réactualiser compulsivement sur leur téléphone la disponibilité du film suivant dans l'espoir de décrocher une place.
Je commence la journée par La Petite Dernière d'Hafsia Herzi. La comédienne réalisatrice qui signe ici son troisième film vit une grande année : après avoir obtenu le César de la meilleure actrice (pour Borgo), la voici en Compétition et dans la cour des grandes. Le film, qui raconte le récit initiatique d'une musulmane face à son homosexualité, mérite largement cette place. Dans la lignée d'Enzo, qui prenait le parti de la justesse sans céder à une dramaturgie excessive, le film est d'une superbe délicatesse, colle au plus près des cœurs et sonde le terrible silence dans lequel la protagoniste est contrainte de s'enfermer. Le sens du cadre et la proximité construite par la cinéaste sont vraiment remarquables, rendant le film bouleversant et nécessaire. Espérons qu'il sera au palmarès, ne serait-ce que pour son scénario.
Sortie le 1er octobre.
J'enchaine avec le premier film de Kristen Stewart en tant que réalisatrice, The Chronology of Water (Un Certain Regard). La biographie de l'autrice américaine Lidia Yuknavitch, écorchée vive au destin tourmenté. Le résultat est éprouvant, cumulant tous les traumas imaginables (inceste, violences physiques, psychologiques et sexuelles), le sang, les larmes, l'alcool, et les hurlements de rage. Un parfait contrepoint à La Petite Dernière en somme, d'autant que Stewart, obsédée à l'idée de réaliser un film indépendant et ambitieux, multiplie les coquetteries stylistiques, un montage fragmenté, un format 16mm, une voix off sentencieuse et des symboles par palettes, le tout sur 2h10. La sincérité est évidente, mais la forme assez discutable.
Le film suivant, Renoir de Chie Hayakawa (en Compétition) prend un peu de court toute la salle réservée à la presse. Conte obscur à hauteur d'enfant dans le Japon contemporain, il accumule des séquences étranges, entre fantasme et réalité, cancer en phase terminale, pédophilie et magie. C'est le genre de film dont le pitch officiel pourrait éventuellement proposer une grille de lecture.
"Fuki, 11 ans, vit entre un père hospitalisé et une mère, débordée et absente. Un été suspendu commence pour Fuki, entre solitude, rituels étranges et élans d’enfance. Le portrait d’une fillette à la sensibilité hors du commun, qui cherche à entrer en — avec les vivants, les morts, et peut-être avec elle-même."
Sous-entendu : vous n'allez rien piger.
Voilà qui me rassure, c'est toujours inquiétant d'être paumé face à un film de la Compet'. Les vivants puis les morts, c'est clairement l'évolution du public qui s'endort ou se barre dans un flot continu dès la première demie heure. Je suis bien tenté, à un moment, de demander des explications à mon voisin japonais, mais il dort aussi.
Je suis encore plus rassuré.
Sortie le 17 septembre.
Cherche pas à comprendre maman
J'ai enfin un délai un peu raisonnable avant la séance suivante, le temps de boire un café et de me sustenter (les fidèles lecteurs savent que mes repas se composent de Pom'Potes, compagnon idéal et transportable), avant de redre la salle Varda pour la projection du film suivant. Sauf que : la projection précédente est encadrée par Raphaël Quenard, dont l'intervention va clairement concurrencer celle de Tarantino il y a quelques jours, le bonhomme étant connu pour convoquer l'intégralité du Larousse dans chacune de ses phrases. Résultat : 3/4 d'heure de retard, une catastrophe dans un planning réglé comme du papier à musique. Le film, Marcel et Monsieur Pagnol de Sylvain Chomet, qui n'avait rien présenté depuis15 ans, est un biopic d'animation sur Pagnol, assez adorable et très joliment animé, avec des dispositifs narratifs de dédoublement et de communication entre les époques qui rappellent pas mal Le Petit Nicolas - Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ? d'Amandine Fredon et Benjamin Massoubre, beau film d'animation de 2022.
Le film, présenté par l'équipe, nous permet de rencontrer son réalisateur qui annonce en exclusivité travailler sur un spin-off des Triplettes de Belleville, ainsi que Laurent Laffite, qui assure le doublage, et l'arrivée surprise de SCH, qui a signé une chanson du film et dit son amour pour Pagnol. Seule déception : il descend sur scène par la voie de droite, et sans appel de phare.
Sortie le 15 octobre
Il va donc falloir se faire un sprint pour redre l'espace Miramar et la présentation Des preuves d'amour d'Alice Douard en séance spéciale de la Semaine de la Critique. C'est le troisième film sur l'homosexualité féminine de la journée, ce qui tombe particulièrement bien puisque la réalisatrice annonce que le 17 mai est justement la journée mondiale contre l'homophobie. Son film, irablement interprété par le trio Ella Rumpf, Monia Chokri et Noémie Lvovsky, raconte la grossesse au sein d'un couple lesbien peu après la légalisation du mariage pour tous. En plus d'être très drôle, il questionne en profondeur le rôle complexe de la partenaire qui ne porte pas l'enfant, des démarches qu'elle va devoir accomplir pour être reconnue comme mère et des conséquences de ce déséquilibre sur le couple. Une très belle réussite.
Au programme aujourd'hui : un hommage à la Nouvelle Vague, un syndrome post partum, un agent secret brésilien et un couple islandais.