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Une journée sous le signe de l'échec : du blockbuster, de la justice, des paysans, de la police et du nazisme.
Toujours amusant de voir les gens faire la queue à 7h30 du matin pour une séance de cinéma : il y a foule ce matin, et l'on patiente pendant que le chien de la police fait sa traditionnelle descente des marches. Arrivés au balcon, situation inédite : aucun staff ne nous accueille dans la salle, ce qui génère une anarchie, les spectateurs s'empressant de ne pas tenir compte de la différence (notable) entre la corbeille (balcon central) et le balcon à proprement parler. J'imagine qu'elles arriveront en retard et devront gérer les mécontents, mais on nous laisse nous débrouiller dans un joyeux bordel. Tout fout le camp.
Mission: Impossible - The Final Reckoning, de Christopher McQuarrie [Hors Compétition].
La présentation hors compétition d'un blockbuster en avant-première à Cannes est devenue une tradition : si celle de Mad Max : Furiosa l'année dernière.
Tom Cruise, on le sait, a pour ambition de sauver le cinéma de divertissement. Il a tout misé sur ce nouvel opus, 400 millions de dollars et près de trois heures, et aligne toutes les erreurs qui embourbent le blockbuster depuis des années. Verbeux jusqu'à la nausée, expliquant interminablement les plans à venir, répétant les enjeux comme on le ferait à un élève de maternelle, le film entièrement au service de sa star aurait pu sauver Hollywood des flammes tant il est pompier.
Une seule belle scène d'action dans un sous-marin renoue avec la grandeur ée, et quelques cabrioles en avion qui elles aussi finissent par s'étirer en longueur. Il est vraiment temps de er à autre chose.
Sortie nationale le 21 mai
Je t'en supplie, arrête juste de parler !
Je sors du Grand Théâtre Lumière pour y retourner immédiatement, au profit d'un changement radical d'ambiance avec Deux Procureurs de Sergei Loznitsa, en Compétition.
Son précédent film de fiction, Une femme douce, remonte à 2017 et m'avait profondément marqué. C'était mon premier Festival de Cannes, j'étais placé dans les pires conditions et m'étais fait un torticolis pour subir 2h40 d'angoisses et de délires baroques, alors que mes voisins bien mieux placés s'étaient contentés de dormir.
Deux Procureurs est plus sage, (scolaire, diront les mauvaises langues), et reconstitue l'enfer du stalinisme dans un dédale bureaucratique au sein duquel un jeune procureur croit encore possible l'avènement d'une justice. La maitrise est indéniable, notamment dans le travail du cadre pour un film dénué de musique et construit uniquement sur des plans fixes. Très verbeux, à la limite du théâtre filmé sur certaines séquences, le film n'apprendra rien de nouveau sur l'horreur d'une époque, mais restitue avec justesse la machine à broyer les individus de toutes les dictatures, ées et présentes.
Sortie le 24 septembre.
On a tout repensé en mode open-space, vous verrez ça rend très bien
C'est probablement la dernière petite parenthèse Cannes Classics, que j'arrive à placer :
La Paga , premier film jusqu'alors inédit du vénézuélien Ciro Duran, réalisé à 23 ans en 1962, et immédiatement censuré. Un premier essai sous influence du cinéma soviétique, qui suit la vie d'un paysan misérable et sa révolte contre les injustices. Beaucoup de maladresses du fait de ses conditions de réalisation, mais quelques effets assez singuliers qui font écho à ceux de la Nouvelle Vague. Dans la salle, je discute avec deux étudiantes venues pour Cannes trois jours, un dispositif dédié aux jeunes. C'est là qu'on reconnait les vrais cinéphiles : ils ramassent les miettes de la billetterie, font des heures de queue dans les files last minute et sont absolument ravis d'être là. Plus tard, sur la terrasse des journalistes, je croise une accréditée furibarde, quittant en trombe les lieux. L'hôtesse au bar m'explique qu'elle vient de lui annoncer qu'ils ne servent désormais plus d'alcool. Tout fout le camp, je vous dis.
Retour sur la Compétition pour la projection de Dossier 137 de Domink Moll, deuxième journée consécutive avec l'immense Léa Drucker, qui est décidément la Catherine Deneuve de notre époque. Moll avait impressionné avec La Nuit du 12 en 2022, et poursuit la même veine d'un film dossier, reconstituant dans ses moindres détails une enquête de l'IGPN pour violences policières durant les mouvements des Gilets Jaunes en 2018. C'est précis, exhaustif, la démonstration est implacable. Le film souffre cependant d'une écriture assez didactique, et s'égare dans des séquences de remplissage sur la vie privée de la protagoniste. Il fera très clairement jaser les plateaux télés lors de sa sortie le 19 novembre, avides de polémiques sur la représentation de la police.
Je termine la journée avec l'ouverture de la section Cannes Première, une de mes sélections parallèles favorites : celles des premières mondiales, hors compétition, des cinéastes familiers du Festival (et que Frémaux coopte pour ne pas les voir partir chez la concurrence, notamment à la Mostra de Venise en septembre.) On a ainsi droit au retour de Fatih Akin, cinéaste allemand dont la dernière présence en compétition n'avait pas été brillante, qui réalise un scénario de son professeur de cinéma. Une enfance allemande - Île d'Amrum, 1945 évoque donc la désillusion d'une famille nazie lors de la capitulation allemande. Un joli récit initiatique à hauteur d'enfant, et une exploration intéressante du point de vue des vaincus, où l'on doit grandir en s'affranchissant des erreurs parentales, et construire dans un monde qui s'effondre.
L'un des motifs récurrents de ce début de compétition s'avère être l'amputation : de nombreux films la mentionnent. Mention spéciale à celui-ci, qui montre un boulanger allemand revenu du combat sans son bras droit, excuse imparable pour ne pas faire le salut nazi. Grand éclat de rire dans la salle.
Sortie prévue le 24 décembre.
Au programme aujourd'hui : une fille disparue, une veuve enceinte, un architecte déé, une ville sous COVID et un apprenti lover.