American McGee’s Alice est un jeu souvent relégué aux oubliettes, alors qu’il a marqué un tournant important dans l’histoire du jeu vidéo sur PC. Sorti en 2000, il fait partie des premiers titres à proposer une expérience de plateforme en 3D sombre, mature et artistiquement ambitieuse, loin des standards colorés et enfantins de l’époque. Il mérite aujourd’hui bien plus de reconnaissance pour ce qu’il a osé proposer.
Oui, le jeu a vieilli. Les animations sont un peu rigides, la caméra capricieuse par moments, et l’ergonomie n’est pas celle des productions modernes. Mais s’arrêter à ces défauts techniques, c’est er à côté d’une œuvre unique, chargée de symbolisme et d’une profondeur artistique rare. Beaucoup n’arriveront pas à y entrer, c’est vrai, mais souvent parce qu’ils ne prennent pas le temps d’en comprendre la démarche ou parce qu’ils attendent d’un jeu des mécaniques trop "modernes", trop assistées. Ce sont des joueurs habitués à une accessibilité constante — et ici, on est face à une expérience exigeante, à la fois sur le plan du gameplay et sur celui de l’atmosphère.
Pour les ionnés, American McGee’s Alice est un véritable bijou. Sa direction artistique est tout simplement inoubliable : on y retrouve un Pays des Merveilles métamorphosé, devenu cauchemar gothique. Chaque décor, chaque personnage est une interprétation déformée et sombre des figures du conte original. Ce monde, habituellement synonyme d’émerveillement et de fantaisie(surtout avec l'adaptation de Disney), devient ici le théâtre d’un drame psychologique profond. Le design macabre, les couleurs ternes, les architectures torturées... tout participe à une ambiance lourde, presque oppressante, mais envoûtante.
Le scénario, bien qu’assez simple dans sa structure, gagne en puissance grâce à cette ambiance. On incarne une Alice brisée, marquée par un traumatisme familial (l’incendie qui a tué ses parents), enfermée dans un asile, et qui retourne dans un Pays des Merveilles qui n’a plus rien de merveilleux. Ce monde est en fait une projection de son esprit, chaque niveau symbolisant une facette de sa psyché ou une blessure mentale. Le jeu devient alors une métaphore visuelle et ludique d’un voyage introspectif, une quête de reconstruction. C’est cette couche poétique et psychologique qui donne toute sa richesse à l’expérience.
Côté gameplay, American McGee’s Alice assume pleinement ses racines rétro. Le jeu ne vous prend pas par la main. Le level design est parfois complexe, les sauts demandent de la précision, et les ennemis ne sont pas là pour décorer. Il faut apprendre à maîtriser ses armes, à anticiper les mouvements, à utiliser intelligemment les outils à votre disposition. Le couteau de base, emblématique, ne suffira pas. Certaines armes sont originales, comme le jeu de cartes tranchantes ou le sceptre de glace, chacune avec des usages spécifiques selon les situations.
Le système de sauvegarde manuel peut sembler archaïque aujourd’hui, mais il fait partie de l’expérience : il oblige le joueur à être attentif, à s’engager dans ses décisions. Cela crée une tension constante, mais gratifiante. Il faut aussi noter que le jeu a été pensé pour PC, avec une jouabilité optimisée pour clavier-souris. Les sensations de mouvement et de visée rappellent des classiques comme Quake ou Half-Life. Sur console, l’expérience est nettement moins agréable, les contrôles perdent en réactivité, et l’immersion s’en ressent.
En résumé, American McGee’s Alice est un jeu à part. Une œuvre d’auteur, qui ose aborder des thématiques sombres avec intelligence et qui propose une aventure marquante à qui prendra le temps de s’y plonger. Ce n’est pas un jeu "parfait", mais c’est une œuvre forte, audacieuse et profondément personnelle.
Un classique oublié, mais pas oubliable.