Selon les traductions, "Yol" signifie "la permission" ou "la route". Ce deuxième titre lui sied bien mieux puisque c'est dans ses élans de road-movie naturaliste que le film est le plus brillant. Quand ses personnages arpentent des trains ou s'assoupissent dans des bus au milieu du désert... Là, la photographie presque documentaire et la sensibilité de Serif Goren pour filmer la Turquie et ses habitants au plus près marquent incontestablement des points.
Dans sa version "permission", le film ne tient en revanche pas la comparaison avec d'autres permissions célèbres, celles d'Erich Maria Remarque, chez Milestone ("A l'ouest rien de nouveau", 1930) et surtout chez Sirk ("Le temps d'aimer et le temps de mourir", 1959). Plus encore, c'est quand le film s'aventure franchement dans la fiction, quand il devient bavard qu'il s'avère être le plus maladroit : ce n'est ni très bien écrit, ni très bien joué et le synthé années 1980 vient noyer chaque scène comme dans un Carpenter des mauvais jours...
N'exagérons rien, "Yol" tient le pari de montrer une société chahutée à la loupe en multipliant les angles via le film chorale sans trop se prendre les pieds dans le tapis. Aucune histoire n'est tout à fait touchante mais le kaléidoscope est plutôt large et l'intérêt nous tient 2 heures. Les femmes, réduites au rang de faire-valoir, s'en prennent souvent plein la tronche. On nous dit plus ou moins qu'elles l'ont bien mérité. Bon. Non, le plus embarrassant est en réalité le côté film à thèse : chaque scène démontre par le menu que ces pauvres prisonniers sont bien moins dangereux que la société elle-même. Dehors tout est violence, hystérie, lâcheté, corruption. Pour un peu, ils seraient des agneaux, les victimes d'un malentendu (on le sous-entend plusieurs fois). Ils sont même souvent braves voire héroïques (la traversée dans la neige).
Evidemment, tout le monde pardonne tout à Yilmaz Guney le pauvre puisque le film est vendu avec sa notice explicative. Si vous ne connaissez pas l'histoire du tournage, vous ne pouvez apprécier la vraie valeur du projet (ah bon ?). Film écrit et préparé entièrement depuis sa prison, "Yol" montre des détenus à la Renoir, bande de copains plus ou moins bien lotis, jouant aux cartes, buvant du thé et partageant des dortoirs chaleureux. On se frotte les yeux quand on a vu "Midnight express" quatre ans avant (où les prisons turques étaient quelque chose comme l'enfer sur terre). Quand Guney montre les hommes qu'il connaît, quand il les fait vivre ou parle à leur hauteur il est bon et "Yol" a au moins ces mérites. Quand il fantasme les réglements de compte qu'il voudrait s'offrir en sortant de là, il s'égare et son film avec lui.