Romain Duris est un grand acteur, capable de tout interpréter avec une intensité saisissante. Il livre dans ce film l'une de ses performances les plus nuancées, à travers le rôle de Jay.
Son errance s’enlace sans réponse depuis neuf ans, au côté d’une ville froide et indifférente. La nuit, le jour, à bord de son taxi. Il cherche sans relâche, à ne plus savoir s’il poursuit ou s’efface. Espérant voir un jour, au bout de son exil, Lily (Mei Cirne-Masuki), sa fille, son seul éclat de vie.
À travers un Tokyo insaisissable, en totale déconnexion, il marche, perdu, au bord de cette architecture fascinante et unique. Étranger à ces rues, à ces paysages contrastés de nature et d’urbanisme aux couleurs vives, qui le rendent si seul, dépouillé de tout. Une contemplation sans émotion, depuis bien trop longtemps, tandis que son père (Patrick Descamps) n’attend que son retour en , maintenant qu’il n’y a plus aucun espoir de la revoir...
Guillaume Senez filme magnifiquement Tokyo et son choc culturel. Le réveil d’une silhouette discrète, au rythme de la dérive de Jay. Son quotidien, dans une ville qui respire son éloignement, reflète son aliénation. Écho d’un monde et d’un système juridique qui n’accorde que peu de droits aux parents étrangers mariés avec une Japonaise. Injuste et cruel.
Les gaijin, comme on les appelle. Petite communauté étrangère basée à Tokyo, qui partage la même histoire d’éloignement de leurs enfants, de leurs avocats. Et notamment l’arrivée de Jessica (Judith Chemla), une autre Française et sa colère. Une femme tonique et amusante, qui ne comprend rien à ce pays, à ces lois. Le sentiment de ne pas être compris, ni particulièrement bienvenu. Des envies de tous les frapper.
Entre Jessica et Jay, ce sont deux blessures qui se ressemblent. Pour l’une, tout reste vif, pour l’autre, elle demeure endormie, afin de ne pas souffler la dernière flamme d’espoir.
Mais c’est dans le reflet de ce rétroviseur qu’il voit défiler en silence tous ces visages flous. Un océan d’inconnus lointains, dans les profondeurs de l'objectif, comme un film où l’histoire se joue toujours à distance. Quand soudain, il entend ce prénom… C'est elle. Le rêve qui devient réalité, tout près et pourtant si loin. Lily, le trésor de sa vie. Et ces mots qui lui disent « Comment allez-vous ? » en miracle français. Ses petits yeux fuyants, qui lui sourient. Et ses larmes, qui ne pouvaient plus attendre, un père enfin retrouvé, qu'elle croyait enfui à jamais.
Mei Cirne-Masuki est une jeune actrice à la hauteur de ses partenaires. Le malaise d’une petite métisse, pleine de peur et de douceur. Si timide, qui s’échappe aux côtés de son père, pour un après-midi au goût du sel et du vent. La promesse d’un signal qu’elle trace invisible, pour ne plus jamais se perdre de vue, pour retrouver la part manquante.
Le regard de Guillaume Senez sur ce beau film est à la fois précis et empreint de délicatesse. Il interroge sans jamais imposer, préférant laisser le spectateur naviguer entre les subtilités parfois impalpables d’un système où les règles ne sont pas seulement écrites, mais intériorisées.
Il plonge au cœur des mentalités et de la législation qui façonnent la société japonaise. Ce chemin codifiée entre les êtres, qui ne se comprennent plus.
Sans être brutal, Une part manquante est un film vibrant d’une humanité profonde. Il permet une réflexion intelligente sans altérer l’intimité du récit, sur la quête d’un père qui cherche, en vain, dans la foule, son étoile arrachée, dans l’immensité de son vide intérieur
Ce film est à l’image d’un cœur qui bat au souffle de l’absence et des retrouvailles. De ces deux fragments d’eux-mêmes, qu’on a tenté de séparer, mais que le destin a choisi de réunir, le temps d'un instant.