Ghosts in the jail

Le génie en roue libre comporte toujours son lot de surprise. Depuis que Coppola fait ce qu’il veut, il réinvente le temps et le langage (Tetro), et le voilà qui s’attaque au film d’horreur.


Quoi qu’on en dise, le fil rouge existe bien entre ses trois derniers délires : un primat très net accordé à la forme, un fond plutôt obscur, à la fois référentiel et atypique.


Le mérite de Twixt, en comparaison avec la prétention des deux essais précédents, réside dans sa dérision. Dès l’introduction, l’absurde le dispute à l’horrifique, le conte noir à l’enfilade de clichés, et c’est avant tout à un jeu de piste que semble nous convier le cinéaste.


L’univers est d’autant plus codifié que les moyens pour le signifier sont outrés : noir et blanc lustré duquel émergent d’uniques couleurs, souvent le rouge, (un rappel en expansion des expériences de Rusty James) plans obliques, accompagnés d’un grand travail sur le son.
Les références sont à peines voilées, tantôt aux labyrinthes de Lynch sur les beautés vénéneuses et oniriques de Shining de Kubrick quant à la panne d’inspiration de l’écrivain alcoolique, voire au Vertigo d’**Hitchcoc**k par les escaliers escarpés menant au clocher.


La question est de savoir si quelque chose émerge de la menace constante du grotesque généralisé. Pour peu qu’on s’immerge dans les méandres insolubles et qu’on laisse cette imagerie fantastique se déployer, oui. Une fascination, une certaine mélancolie, même. Dans les arcanes de l’inspiration, le jeu des lieux communs (la jeune fille blafarde et spectrale, le motard marginal citant Baudelaire, le prédateur d’enfants) est une réponse à la vie réelle, une expansion de ses drames, d’un mariage raté, d’une carrière minable et du deuil de l’enfant.


Ce mélange d’amateurisme assumé sur le plan narratif et de travail outré sur la forme accouche d’une œuvre hybride qui marque le spectateur, tant par son audace un peu délirante que par certaines fulgurances visuelles.


On ne sait pas si c’est là le dernier film de Coppola, mais quoi qu’il en soit, on attend avec une véritable excitation le suivant : tout est désormais possible. Et, lorsqu’on constate à que point certains maîtres ne parviennent qu’à refaire indéfiniment le même film, à l’instar de Woody Allen, on ne peut que s’en réjouir.

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le 1 mars 2016

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Sergent_Pepper

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