Alors que l’actualité ne cesse de nous révéler les violences et la culture du silence dans les institutions religieuses, Tu ne mentiras point propose une sorte de retour dans le temps qui pourrait, à sa manière, expliquer les mécanismes de ce mutisme systémique.
Situé en Irlande au mitan des années 80, le film suit la vie d’un petit patron d’une société de vente de charbon, implanté dans une petite ville où tout le monde se connaît, et père aimant d’une famille nombreuse. La photographie, toute en rouille et gris, dépeint sans misérabilisme un quotidien où le labeur manuel épuise les corps, un ciel bas et lourd, et des interactions fondées sur une apparente franchise, à la fois rustre et directe. Bill, incarné par un Cillian Murphy toujours aussi talentueux dans un spectre d’incarnation particulièrement étendu, est le centre de l’attention : la caméra le suit, le son se met à son diapason sur sa respiration et ses mouvements, dans un mouvement continu qui débouche, lors de phases introspectives, sur un écheveau de souvenirs restitués parfois de manière un peu trop démonstrative.
La principale qualité du film réside dans ce choix du point de vue : celui d’un homme qui ne garde que des traces d’un ancien traumatisme, et qui ne verra pas non plus les manifestations directes de sa résurgence par l’entremise de la jeune fille qu’il va rencontrer, et qui subit un internement chez les nones. Les silences, le regard, les allusions de la communauté pour maintenir l’ordre établi vont progressivement vicier cette période de Noël qui devrait se prêter à la liesse et l’entraide. Si le film n’a pas grand-chose à apporter en termes de narration, c’est dans l’atmosphère que se construit son propos. Peu de musique, pas de coups d’éclat, mais la restitution précise d’un monde sous cloche, accrue par de nombreux plans à travers des vitres opacifiées par la neige, la pluie ou la buée. On remarquera d’ailleurs une singularité dans cette forme de matriarcat, les sœurs imposant clairement la loi dans la communauté, puisqu’elles déterminent aussi la qualité de l’éducation des enfants, tout en brimant les filles mères - offrant un rôle glaçant et imposant à Emily Watson.
Les fragiles ébauches d’une révolte et un final suspendu persistent dans cette approche : si le spectateur n’est pas récompensé par les ressorts traditionnels de la dénonciation, il en sortira plus à même de comprendre les mécanismes de domination qui ont prédominé pendant des décennies, et dont on commence à peine à entrevoir les effrayantes conséquences.