The Blade
7.3
The Blade

Film de Tsui Hark (1995)

Un sabreur manchot dans un film aveugle

La seule chose qui compte pour moi, c’est que le vainqueur m’appartienne... Et si je ne peux pas les avoir, je préfère qu’ils meurent tous les deux !


Les amis, faut qu’on parle :

Je sors d’un visionnage qui m’a laissé sacrément perplexe. Grand amateur de cinéma hongkongais et ionné de wu xia pian, j’ai depuis longtemps entendu parler de The Blade comme d’un chef-d'œuvre incontournable. Sur ce site comme ailleurs, on me l’a vendu comme un sommet du genre, le Graal ultime du film de sabre, avec des combats d’épée d’une intensité jamais vue. Un chef-d’œuvre qui laisserait même La Rage du Tigre de Chang Cheh, et Duel to the Death de Ching Siu-Tung, au tapis. Ce qui, pour moi, revient à me vendre une œuvre absolument incroyable, vu l’iration sans bornes que je voue aux deux films précités. Alors forcément, avec toutes ces promesses, j’étais plus que motivé, j’étais chaud patate. J’ai cassé la tirelire pour mettre la main sur le film, et pas donné le bestiau, car évidemment ce genre de perle ne se déniche pas à petit prix. Mais peu importe, on y va ! Je me cale confortablement, persuadé de m’embarquer pour une expérience incroyable. Même ma compagne, pourtant réfractaire aux films de sabre, s’est laissée embarquer par mon enthousiasme, au point de tenter l’aventure avec moi. Autant dire que tous les voyants sont au vert, une explosion de saveur en approche, je m’attends à un choc cinématographique. J’appuie sur "lecture", et là… Le choc a bien eu lieu. Mais pas dans le bon sens. À mi-parcours du long-métrage, un doute me traverse au point de mettre The Blade sur pause. "Est-ce que je me suis trompé de film ? Est-ce qu’il y aurait un autre The Blade quelque part ?" Mais non. C’est bien The Blade. Le fameux film extraordinaire. Le chef d'œuvre. Et là, je vous le dis franchement :"Mais qu’est-ce que c’est que ce foutoir ?"



The Blur, plus que The Blade


Avec The Blade, Tsui Hark propose un héritage du genre qu'il va radicalement revisité, en le présentant comme une réponse postmoderne au wu xia pian traditionnel. Un film doté d'une volonté claire, celle de dynamiter les codes esthétiques et narratifs du genre. Jusque là, tout va bien ! J'ai même envie de dire, que Tsui Hark, qui s’est imposé dans les années 80 comme un maître de la mise en scène flamboyante avec Zu, les guerriers de la montagne magique ou Il était une fois en Chine, semble être la bonne personne pour tourner la page des combats chorégraphiés et élégants à la Chang Cheh ou Liu Chia-Liang. En cela, son intention peut être saluée, car faire voler en éclats la stylisation théâtrale au profit d’une violence viscérale et d’un réalisme sale, sur le papier, c'est tentant, mais ô combien risqué. Mais si l’ambition est immense, la réception de cette proposition bascule dans une confusion totale avec une mise en scène sous acide qui tiens plus du chaos que du génie. "La mise en scène !" C’est clairement le point qui fâche, et l'aspect problématique majeur de cette proposition, tant elle est frénétique jusqu’à parfois l’illisible. Elle donne au film une impression constante de brouhaha visuel. Le montage de Kam Ma, secondé par Hark lui-même, n'aide en rien, tant il est à la limite du able. Entre les accélérations brutales, les zooms tremblotants, la caméra convulsive qui semble prise de spasmes au moindre coup d’épée, les scènes brutalement coupées pour er à une autre, on finit par avoir la tête qui tourne et l'envie claire de gerber. On pourrait presque y voir un style, si seulement cela ne nuisait pas à la lisibilité narrative. Car à ce niveau, ce n’est plus du style, mais une problématique. Ce qui devait être nerveux devient épileptique (dans le mauvais sens du terme), ce qui devait être immersif devient migraineux.



Les combats, pourtant si réputés, et que je voulais tant voir, sont de véritables puzzles optiques où l’on ne comprend ni le rythme, ni même les conséquences des coups portés. À cela s’ajoutent des chorégraphies d’une qualité plus que discutable. On est loin de la précision millimétrée. Les affrontements ressemblent davantage à des crises de panique filmées de très très près, avec des combattants qui agitent frénétiquement les bras dans tout les sens, tournent sur eux-mêmes, crient à pleins poumons, et c’est à peu près tout. On ne sait plus qui frappe qui, ni comment, ni même pourquoi parfois. C’est le bordel visuel. Le scénario de The Blade, pourtant coécrit par Tsui Hark, So Man-Sing et Koan Hui-On, est lui aussi difficile à suivre. Il n'est clairement pas dénué d'intérêt en affichant trois récits en un, qui vont miser sur une approche qui va confronter l'héroïsme et la naïveté du cadre fantasmé de la chevalerie, au vice et à la destruction du "monde réel". Et si cette conduite est intéressante à suivre, le problème c'est qu'elle est brouillonne et discontinue. Pourtant, l’histoire de ce forgeron mutilé en quête de vengeance se positionnant comme une revisite de la saga du Sabreur manchot, ou encore du Boxeur manchot, qui doivent eux-mêmes leur existence au chanbara japonais d'Hideo Gosha et son Samouraï sans honneur, a de quoi captiver. Mais le traitement narratif la noie dans un océan de ruptures de ton, d’ellipses mal gérées et de scènes qui s’agitent dans tout les sens au point de perdre en repaire. Il est souvent difficile de suivre l’évolution des trois personnages principaux. On ne comprend pas toujours ce que vivent les protagonistes, et encore moins pourquoi ils le vivent. Pourtant, la base dramatique est là, elle est forte même, mais l’émotion peine à er, et c'est très dommage car ça ne fait qu’ajouter de la distance émotionnelle.



Heureusement, la direction photographique de Keung Kwok-Man et Gam Sing se distingue par des choix audacieux, comme l’usage des couleurs, notamment le rouge, dans les scènes intenses. Les jeux d’ombres, les halos crasseux dans les forges ou encore les brouillards de poussière participent à rendre cet univers visuellement cruel et poétique, à défaut d’être toujours agréable à suivre. Les costumes et les décors, alliés à la direction artistique, construisent un monde rugueux et primitif. On sent que Tsui Hark voulait montrer un monde plus terre-à-terre et moins romancé. Il voulait s'éloigner des palais dorés et des envolées célestes des films de sabre classiques. Et sur ce point, c’est une réussite. Quant à la musique, composée par Raymond Wong et William Wu, elle accompagne efficacement les scènes. Elle est bien utilisée et constitue un des rares éléments de continuité sensorielle dans un film qui fait exploser tous les repères. Côté interprétation, je ne sais pas trop quoi en penser. Par moments, c’est bien incarné ; et par d’autres, c’est surjoué au point d’en devenir ridicule, surtout du côté des comédiennes. Leurs excès de jeu, cris suraigus et mimiques outrées finissent par lasser et agacer. Les trois personnages principaux sont plus ou moins intéressants. Ding On (Vincent Zhao) livre une performance crédible, mais s’affiche comme un sous-Sabreur manchot. Son évolution physique et morale est intéressant. Tête d’Acier (Moses Chan) prend un chemin inattendu qui transforme le mythe du chevalier jusqu’à l’ignoble, puisqu’il agresse sexuellement des femmes. Il est le plus intéressant des trois à développer, mais celui que l'on voit le moins. Et enfin, Siu Ling (Sonny Song), qui se présente comme la narratrice de The Blade. Tout le récit est suivi à travers son regard naïf. Sa romance fantasmée avec Ding On et Tête d’acier est aussi usante que ses incessantes pleurnicheries. Côté méchants, ce n’est pas terrible du tout. Même constat pour l'antagoniste principal, Fei Lung (Hung Yan-Yan), qui à peine arrivé meurt.



CONCLUSION :


The Blade n’est pas un sommet du wu xia pian, c’est une tentative de rupture. Un film qui veut casser les codes du genre avec un style sale, nerveux, et expérimental. L’idée est intéressante, mais le problème c'est qu’à l’écran c’est confus, bordélique, et souvent illisible. On m’avait promis un chef-d’œuvre. J’ai eu à la place un chaos de style, certes ambitieux, mais frustrant. Peut-être que The Blade est un chef-d’œuvre, mais seulement pour ceux qui arrivent à suivre ce qu’ils regardent.


Un récit intéressant sacrifié sur l’autel de l’expérimentation.



Je ne sais pas depuis combien de temps cette pratique de la vengeance existe, mais elle se transmet immuablement de génération en génération. Et cela ne s'arrêtera sans doute jamais.
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