L'intro du film montre une main gantée ouvrir les pages d'un livre, une voix-off, celle de l'auteur, commence alors à narrer une histoire de meurtre. Débute alors l'obsessionnel générique signé Goblin sous fond d'âtre de cheminée.


Toute la scénographie fétichiste du cinéma d''Argento est là. En un plan, on est d'emblée dans son domaine, il nous tient et ne nous lâchera plus jusqu'à la dernière image. Cette conclusion comme liaison directe avec l'introduction et ces notes stridentes entamées par les hurlements d'une femme que viendra annihiler la musique des Goblins


Avec Ténèbres le cinéma d'Argento n'a plus qu'à dérouler l'acquis de ces précédentes œuvres. L'absolutisme de son chef d’œuvre, Profondo Rosso, a déjà imposé ce style unique, reconnaissable entre tous. Revisitant le thriller Hitchcockien en y imprégnant ses obsessions, le maître italien réussit encore une fois à réduire son script à une improbable incertitude aux perversions progressives, quid du schéma narratif annihilé par l'image qui en découle.


Chez Argento les artifices graphiques sont magnifiés et l'emportent depuis toujours sur la logique scénaristique, ici sans doute plus que jamais, rituel canonisé par dessus toute velléité d'écriture, de logique et d'évidence redondante.


Ténèbres c'est le récit de l'auteur qui souhaite s'accaparer son œuvre jusqu'à annihiler toute intrusion autre que sa propre vision, jusqu'à finir par s'anéantir afin d'en garder la totale maîtrise.
Le giallo qu'il aura magnifié à défaut d'inventer, trouve ici son apogée, illuminant toutes formes d'irrationnels, il conçoit une sorte de thriller horrifique au concept et aux formes post-moderne accompagnant ses gestes d'une mise en scène hallucinatoire.
La fameuse scène du meurtre des deux lesbiennes où la Louma part de l'image figée de la première des deux proies du tueur pour s'envoler littéralement rasant les pierres constituant l'immeuble d'où logent les deux futures victimes, reste un monument d'inventivité à la logique totalement altruiste, mais d'une élégance quasi mystique.


Le gore est très présent dans ce giallo rouge profond, poussant le concept dans un délire pictural, la scène de la victime à la main coupée dont le sang vient littéralement arroser une grande toile blanche comme un peintre jouissant sa future œuvre.
Empreint d'une grande théâtralité dans l'application de ses scènes de meurtres son cinéma est par essence, d'une fulgurance et d'une subtilité toute maîtrisée prompte à choquer et à marquer les regards qui l'accompagnent.


En peintre de l’absolutisme pervers enjolivé de couleurs sang, le maître du giallo signe sa dernière très grande œuvre.
A l'image de l'auteur de romans du film, qui jette son oeuvre dans les flammes, Dario Argento conclura là son grand œuvre avant de se laisser divaguer à quelques exceptions prêtes, Phénoména, Opéra et Le Syndrome de Stendahl dans le superflu et l'inconsistant.

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le 28 avr. 2016

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Philippe Quevillart

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