Sinners
6.8
Sinners

Film de Ryan Coogler (2025)

Pour le meilleur, et le vampire

Ryan Coogler est notamment le scénariste et réalisateur de Black Panther et Black Panther: Wakanda Forever. Autant vous dire que j'accourais à la première séance du mercredi matin pour découvrir son nouveau long-métrage Sinners (non).

Mais bon, le film est véritablement adulé par la planète cinéphile, et les retours américains sont ultra-élogieux envers l'œuvre, donc je me suis laissé tenter. Comme si écouter les retours américains était une bonne idée.

Découvrant le film vierge de toute information, il faut ettre que le début est sacrément prometteur. Un univers affirmé, une patte esthétique léchée, et la promesse d'un mélange total entre narration et tempo musical. Et effectivement, ça marche plutôt très bien. La galerie de personnages est attachante, les différents arcs scénaristiques se mettent petit à petit en place, et une tension latente s'installe doucement.

La réalisation de Coogler est vraiment notable, avec un travail de mise en scène particulièrement réjouissant pour ce type de productions gros budget. Portée par une jolie photo et des idées de cadres ingénieuses, l'œuvre propose ainsi un bon paquet de plans marquants. Chose assez rare pour être soulignée ces derniers temps (années) à Hollywood.

À cela s'ajoute une ébauche de propos politique franchement intéressante. Se déroulant en octobre 1932, le récit dépeint toute la violence nichée dans la ségrégation raciale, notamment incarnée par la barbarie du Ku Klux Klan. Le long-métrage bascule ainsi régulièrement dans le film d'horreur, mais aussi le film de monstres. Et malgré les jumpscares dispensables, les inspirations criantes (coucou Get Out) et un manque global de frisson, cette tension latente illustre plutôt bien l'idée d'une oppression raciste profondément destructrice. Les blancs vampirisent les noirs... littéralement.

De ce propos politique découle alors le plus gros point fort du film, à savoir sa bande originale. Des mélodies de blues occurrent toujours en arrière-plan, symbole ultime de résistance culturelle et de dénonciation des injustices dont sont victimes les afro-américains. Déployant à la fois l'analogie surnaturelle et occulte du récit, mais aussi un crescendo anxiogène lent et profondément palpable, l'ensemble accompagne à merveille chaque scène et personnage. Puis le générique de fin défile, et tu te rends compte que c'est composé par Ludwig Göransson. Ceci explique cela.

Pour autant, le long-métrage se permet d'être sérieusement bavard lors de sa première heure. La promesse d'explosion sensorielle et musicale se fait attendre... et elle a tout intérêt à ne pas décevoir. Heureusement, LA séquence du film débarque. Une scène de transe musicale complètement dingue, qui réussit à 2000% son effet de rêverie hypnotisante. On est transporté de bout en bout par ce plan-séquence exécuté à la perfection, et la spatialisation du son (en salles) fait des merveilles. Bref, je viens potentiellement d'assister à ma séquence favorite de l'année. Le film lâche les chevaux, le train est lancé, et le grand spectacle peut enfin démarrer...

...et beh non en fait. L'euphorie de l'ensemble disparaît presque aussitôt, et on retombe dans les travers d'une narration étirée à outrance. La gestion du rythme est pas loin d'être catastrophique, à travers des dialogues d'un ennui mortel. Tout est trop sérieux, et la pauvreté abyssale de l'écriture finit par rendre le visionnage véritablement exaspérant.

Mais le vrai gros souci, c'est que l'œuvre se croit profondément maline, alors qu'elle n'est qu'une bête production peinant lamentablement à tenir sa forte promesse politique de départ. Coogler étant par ailleurs très confus dans sa narration, on termine le film en se demandant ce que le bonhomme voulait bien nous raconter.

De même, quel dommage de ne pas développer cet univers, pourtant ionnant sur le papier. Le long-métrage aimerait s’inscrire dans un décor folklorique, empreint de mysticisme et de légendes ancestrales, mais tout est cruellement superficiel. Hormis une bête scène d’exposition (et un design de guitare assez dément), rien ne sera jamais creusé. L’impression donc de voir à nouveau une création faussement maline, qui se vante d’un monde original sans jamais le justifier ou l’exploiter... juste parce que c’est cool. Mais apparemment, la priorité a plutôt été mise sur les blagues vaseuses à base de cunni.

Le dernier tiers finit d'achever le tout, avec un changement de ton aussi radical qu'incompréhensible. Le film ne sait plus ce qu'il veut être, mettant à la poubelle sa mise en tension lente et réfléchie, son discours politique sobre, et surtout, son lien (crucial !) avec la musique. Parce que bon, on a quand même Michael B. Jordan. Et en double en plus. Alors autant rentabiliser tout ça. Donc tu me fais plaisir, tu te fous en débardeur, tu sors les gros bras, et tu canardes partout.

C'est donc parti pour un enchaînement bête et méchant de scènes d'action bourrines, à base d'alter ego tout pourri. Des scènes d'action que j'aurais pris plaisir à voir, si le film ne m'avait pas promis un récit ingénieux et subtil pendant toute sa première moitié. Et s'il avait directement embrassé à fond son aspect outrancier, pour ne pas dire nanardesque. Ce qui ne l'aurait par ailleurs pas empêché de développer un propos tout aussi fort.

Le plus frustrant, c'est qu'on entrevoit toujours ce que l'on appréciait tant du long-métrage initialement. À savoir de chouettes idées visuelles, et un jusqu'au-boutisme (notamment au niveau de la violence) profondément réjouissant pour un blockbuster de cette trempe.

En guise d'ultime clou d'un cercueil narratif déjà bien funeste, le film se paie le luxe de déballer une scène post-générique de presque 10 minutes. Une séquence semi-avortée, qui témoigne une nouvelle fois des errements profonds dans la construction scénaristique de l'œuvre. Même si elle a le mérité de ramener à l’écran la légende américaine Buddy Guy...

Bref, un peu du meilleur, et beaucoup du pire du cinéma hollywoodien. Porté par un sens de la musique fantastique, un propos politique pas inintéressant et une générosité visuelle indéniable, Sinners se tire malheureusement une énorme balle dans le pied en cours de route. À l'instar de ses personnages, le long-métrage se perd progressivement, au sein d'une descente aux enfers narrative d'une vanité sans nom.

Bien triste de se dire qu'au milieu d'un tel marasme, réside potentiellement ma scène préférée de l'année.

5,5/10


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5
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le 18 avr. 2025

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