Jodorowsky nous a tant habitué à l’audace et à l’insolite qu’on peut paradoxalement se trouver blasé par certaines de ses propositions lorsqu’elles semblent prendre les rails d’un récit plus convenu. C’est un peu le cas avec ce Santa Sangre, qui lui ressemble tout en sacrifiant un peu trop à la codification d’un genre.
Le film commence pourtant sous les auspices du chilien : on retrouve cette atmosphère atypique, à la fois ancrée dans le monde (les favellas, la misère, qu’on croirait dans certaines séquences directement issues des photographies de Salgado) et sous l’emprise d’un imaginaire délirant. Le défilé des éléphants, la secte du sang, les mutilations et infirmités diverses déploient un folklore que Jodo exploite depuis ses débuts.
Santa Sangre se présente comme un récit initiatique dans lequel la majorité des épreuves ent par la violence, et l’épanouissement de l’être se voit contraint par des amputations diverses. L’univers circassien se prête bien évidemment tout à fait aux délires baroques du cinéaste, qui paie son tribut à l’aîné Fellini, tout en aiguisant la violence des rapports humains.
Cette première partie parvient ainsi à trouver un point d’équilibre assez intéressant, entre le délire presque surréaliste et un récit respectueux d’une chronologie et d’une linéarité : sur ce point-là, Jodo s’assagit et parvient à déer le sentiment de vanité qui pouvait un peu miner ses folies précédentes. Mais la suite, qui va davantage lorgner du côté du giallo, ne sera pas pour autant entièrement convaincante.
L’idée d’un Œdipe organique (à savoir, une mère amputée disposant des membres de son fils pour exister) est graphiquement pertinente, et occasionne des scènes de fusion plutôt réussies. Mais ce que Jodo obtient visuellement, il le gâche sur le plan psychologique, où le grotesque l’emporte, sur le mode des films de genres horrifiques, des italiens cités plus haut à De Palma, auquel on pense souvent, entre les délires colorés de Phantom of the Paradise et les expériences outrancières de Sœurs de Sang. De ces influences, c’est malheureusement les défauts qui ressortent le plus : peu maîtrisé par les comédiens, redondant sur le plan narratif, et finalement peu émouvant.
Plus narratif, plus lisible, Santa Sangre semble se présenter comme plus abordable. Mais cette édulcoration sied mal à l’univers de Jodo, que cette stratégie honore dans son désir de renouvellement, mais qui ne parvient pas encore à trouver le réel point d’équilibre qui permettra l’exploitation efficace de son imaginaire.