De Palma a une idée pour augmenter la fréquentation des musées #Paris2014
De Palma est un petit voyeur, il le sait, on le sait, il ne s'en cache pas. Pour Dressed to Kill, il a vu les choses en grand. Sous son regard se croisent pulsions morbides, quêtes d'identité, désirs, viols, et beaucoup de psychanalyse à la moulinette (mais c'est les années 80, donc on lui pardonnera). Son film ne tourne pas tant autour du transgenre (heureusement d'ailleurs, parce que question psychologie de la transexualité, on reera) que de l'eros féminin tour à tour opprimé et libéré, dans une valse joyeuse courant de la femme frustrée à l'adultère en ant par la prostitution, le travestissement et l'interdit. Dans cette histoire, l'homme est muet, ou alors il ne touche pas, ne peut qu'épier par le trou de la serrure sans jamais pénétrer les violences du désir féminin.
Brian de Palma est un as de la mise en scène. Parfois, c'est le bémol de ses films, les effets sont à la limite du maniéré à force d'être appuyés. Mais il faut savoir lui pardonner pour accéder à la beauté et à la force qui se dégage des scènes, jeux de miroitement et de dédoublement sans fin : scène de la douche, d'abord porno-kitsch puis angoissante ; scène du viol, désiré puis redouté ; scène de séduction, tout en retenue dans un musée ou délibérément provocatrice dans le cabinet du psychiatre, ... La force de ses films, c'est cette capacité à dégager de ces motifs une force vibratoire qui hypnotise et tisse un réseau sans fin de relations symboliques autour de son objet.
Le age de flambeau de Kate Miller à Liz se joue sur le même niveau. D'une blonde à l'autre, les frontières du réel sont brouillées et Liz se met à réaliser les fantasmes de Kate Miller, menant sa vie à rebours de la mère de famille frustrée et franchissant toutes les barrières que Kate se posait : figure emblématique de la prostituée comme liberté sexuelle totale et déconstruction de la monogamie ennuyeuse du mariage, séduction frontale des hommes, détournement du désir du psychiatre, lit du fils, ... Une fois que Kate Miller libère sa parole autour du sexe, Liz s'agite et s'amuse du trouble qu'elle provoque.
Pour enregistrer le désir plastique et fuyant, mouvant et se métamorphosant à chaque scène, de Palma met en place un dispositif scopique qui tourne à l'obsession : jeux de miroirs, jumelles, lames de rasoir, caméras, télévision, voire écouteurs où le son est un palliatif à l'image, ... (Blow Out n'est décidément pas loin). Là encore, le regard est premier et seul vecteur de désir, désir qui reste obstinément frustré (si Dressed to Kill est d'une charge érotique folle, il reste très chaste sur les éventuelles concrétisations sexuelles, là n'est de toute façon pas son objet). Une fois de plus, l'oeil établit un rapport ambigu ou troublé au sexe : rapport d'une femme à son fantasme (invisible pour son mari se rasant à quelques mètres), de cette même femme à son psychanalyste (en recherche de norme), désirs conts se rencontrant sur la surface d'un tableau, regard de l'enfant épiant le récit de la sexualité de sa mère puis la tentative de séduction vénéneuse de Liz, regard surplombant et angoissant des fous dans l'asile, digne de figurer dans l'Enfer de Dante, ...
Une mention toute particulière à la séquence du métro, toute en finesse ; jeu des apparitions-disparitions, présence sourde d'une menace hallucinée dans un univers hautement mental côtoient le prosaïsme le plus banal de la bande de violeurs volubiles ou du contrôleur paternaliste et réprimendeur.
Tout cela mis à part, on appréciera également le réinvestissement constant que de Palma fait de l'histoire du cinéma (Tarantino n'a pour le coup vraiment rien inventé). Ici, convoqué en masse, Psychose donne au filme sa structure et transforme le twist hitchockien en principe d'écriture du personnage. La scène de la douche est en ligne de mire, mais Dressed to Kill ne vous donnera jamais exactement ce que vous voulez voir. Légère excursion dans l'esthétique du porno en ouverture, hommage aux films d'horreur, reproduction explicite de la femme fatale du cinéma classique, ... Tout cela mêlé au plus strict style des années 80 (ce mélange sauve peut-être le film de la ringardise caractéristique de cette époque), réintroduisant joyeusement le cinéma dans la vie réelle.
Deux mentions spéciales : l'une à Nancy Allen, toujours aussi divine. L'autre à l'inspecteur Marino, summum du flic 70 salaud et ripoux au grand coeur.