Ma ligne de chance, sa ligne de hanche
Hérésie, en dehors de tout calibre - Poésie - encore si fou, si libre : Godard, avec ce film, s’est révélé à moi si loin de ce qu’on m’en avait dit : l’Ennui, E majuscule, boursoufflé en une œuvre qui sait son génie, qui vous regarderait, vous spectateur - plutôt que de se laisser voir - et qui - tel un professeur - vous regarderait de haut, forcément de haut. Sentencieux, prétentieux.
Or, avec ce film, rien qu’avec lui, tout le contraire en fait - encore aujourd’hui : énergie et jeunesse, audace et fougue, érudit sans cesse mais sans lasser les foules. Alors certes, d'ennui il parle, mais s'il en parle, c'est sans Ennui. Comment s’ennuyer devant ces belles errances, Anna Karina chantant sa ligne de chance, ou Belmondo tout plein d'innocence, ant tout le poids de cette insolite romance. Ce Pierrot, la gueule drôle mais l’air grave, seul homme à se faire Drame, comme tant d'autres, par amour pour une femme. Laissé pour mort Ferdinand, doux rêveur, tendre naïf, piégé par l'insolente espièglerie d'une sublime Marianne.
Et ce pont qui ne relie rien, ces feux d'artifice comme des tonnerres, ces petites merveilles dont le film est plein. Un film-collage, en bleu et en rouge : chaque image, chaque mot, chaque personnage sont de rouge et de bleu. Le rouge sang, le bleu des yeux, le ciel, le sable, l’eau et le feu mariés pour un plan. Le film s'improvise et danse la mort et la vie, l’envie, la folie. Le désespoir, l’amour. Le rouge et le bleu. L’encre et le sang, les cris et les chants. Comme les couleurs d’un livre d’enfant.
Les plans s'opposent au lieu de s’enchâsser, les scènes riment plus qu'elles ne content, et offrent à vivre plutôt qu'à suivre.
Comme le dit Anna Karina, moi, en le découvrant un jour, « jamais je n’aurais cru qu’il me plairait toujours ».