A Thrissur, une ville du Kerala, deux jeunes mecs exécutent un type dans la rue. C’est leur premier contrat et ces deux wannabe criminels ont tout fait pour s’appliquer et commettre leur crime de manière rigoureuse. Sauf qu’ils ont peu merdé, et ces deux pignoufs comprendront plus tard que leur plan avait des failles, mais à ce moment-là, on en aura plus grand chose à foutre parce qu’entre temps ils vont croiser dans un supermarché la femme de Giri, un gros mafieux local, et ils vont mal se comporter avec elle, résultat le gros mafieux leur colle des tartes. Humiliés, ils vont se venger et commettre un crime horrible en déboulant chez les mafieux et en agressant sauvagement sa femme. Furibard, Giri et sa famille préviennent toutes les crapules de la ville : il faut absolument les retrouver ! Sauf que ces deux jeunes ne vont pas en rester là, ils vont s’entêter à vouloir fumer Giri et sa famille, l’un après l’autre…
Le pitch est plutôt cool et d’emblée Giri et son univers familial, son contrôle du territoire et des flics est présenté de manière très convaincante. De leurs côtés, les deux acteurs qui interprètent les jeunes apprentis tueurs sont excellents et arrivent à offrir une profondeur jouissive et ambiguë à leurs personnages. Dommage donc que le film e par certaines facilités pour assigner les sympathies que doit éprouver le spectateur. Par la nature odieuse de leur crime, ces deux personnages sont irrémédiablement condamnés aux yeux du spectateur, jusqu’à un châtiment que le film cherche à nous présenter comme amplement mérité. Cette approche univoque de l’histoire nous prive d’une complexité que le film semble pourtant parfois cultiver. Car si le mafieux Giri, joué par un Joju George bonhomme et charismatique en diable (il monte et descend d’une voiture avec une classe folle), nous est imposé comme un patriarche sympatoche dès sa scène d’introduction, au cours du film cette bonhommie se fissure. Un journaliste rappelle que ses deux potes qui viennent de se faire tuer étaient des ordures recherchées pour de multiples meurtres. Mais plutôt que de brouiller le manichéisme de l’affrontement qui se met en place, le film préfère rester sur la victimisation de cette famille, injustement martyrisé par ces deux petites frappes décidées de se venger en allant faire courir les patrons de la ville et leur arrogance aristocratique. Un début de lutte des classes au cœur même de la mafia ! Et plus le film avance, plus on regrette de ne pas pouvoir défendre un peu plus leur cause. Sauf que l’intrigue les a rendu détestables, sans contestation ou doute possible.
Le film s’achève donc dans une boucherie attendue et discutable où l’affront doit être lavé dans la souf des coupables. Et là encore, il y a un bout d’idée formidable : comment torturer des gens qui, sous analgésiques, ne ressentent plus la douleur ? Mais le film n'en fera rien et s’achève donc avec certaines réserves, et un brin de mauvais goût (le gros plan sur le logo « Defender » du 4X4 de Giri, rappelant la nature bienveillante et protectrice du parrain). Mais n’empêche, ce polar typiquement malayalam (enchaînant donc plans drone à la verticale, caméras fixées à un véhicule, scènes de festival, plans de rues bondées et les plans bouffe à qui mieux mieux) est tendu d’un bout à l’autre de ses 2h20 qui filent à toute vitesse. On croise une galerie de personnages charismatiques et fascinants n'existant parfois que sur une ou deux scènes (je pense notamment au tueur mutique aux noix de coco, formidable, au rigolo qui se fait tabasser, à la copine pénible... on pourrait citer la moitié des dizaines de gueules qu’on voit er). Porté par une excellente bande originale (et s’achevant par un thème absolument dantesque), un casting impeccable de sales gueules barbues et de zouzes pas commodes, proprement filmé et globalement très bien troussé, Pani, au bout du compte, impressionne, transformant les réserves en frustrations de voir le film er à côté d’une réussite encore plus éclatante. Dommage donc que certaines choses restent un peu superficielles, comme la façon dont fonctionne la famille, comment s’étend son emprise sur la ville ou dommage que la relation avec les flics ne soit qu’esquissée car tout ce qui tourne autour de la nièce de la famille qui vient de s’engager dans la police et des questions d’intégrité et de corruption est extrêmement bien foutu.
Dommage encore que la question de la masculinité toxique reste en surface, là encore le film a l’air de vouloir s’emparer du sujet, tout en refusant de le traiter. Reste donc des amorces de réflexions, ne déant parfois pas la simple remarque, des amorces de personnages féminins intéressants (la femme armée et revancharde de David, la Rajmata, la fliquette, la copine pénible) mais qui restent superficiels, noyés dans un film qui, finalement, prendra le temps de rendre ces personnages intéressants, mais ne leur laissera presque aucun espace. Mais c’est surtout la sympathie qu’impose Joju George – acteur réalisateur – à son personnage qui m’a le plus troublé. La façon dont le film condamne ces deux jeunes outsiders, se limitant à une intrigue somme toute classique appelant les spectateurs à applaudir leur destin funeste reste pour moi franchement discutable…
Pour finir, par son plan d’ouverture et par sa dimension fataliste et désespérée, Pani m’a rappelé par moment (et notamment par sa scène d’introduction) la Dernière Nuit à Milan, et je n’ai pas arrêté de me dire que ce film semblait parfait pour un remake se déroulant à Naples. Donc malgré quelques réserves, Pani est une sacrée réussite. Noir, nihiliste et hyper brutal, il e vraiment pas loin de l’excellence.
Et clairement, une nouvelle vision pourrait peut-être balayer une bonne partie de mes réserves...