Un film comme Maigret, en 2022, a tout de la capsule temporelle, voire de l'anachronisme complet. A part surfer sur un timide retour du genre murder mystery encostumé, on se demande en effet ce que a pu motiver une énième version du plus grand personnage de Georges Simenon sur grand écran.
De la même manière, on peut se demander à quel public Maigret s'adressera, les jeunes ne jurant plus que par les blockbusters Marvel et l'action totale, tandis que les soixante-cinq ans et plus ne sont pas près de revenir dans une salle de cinéma tant que la Covid-19 circulera.
L'on pourra enfin se montrer surpris, pour le moins, de voir Patrice Leconte revenir presque d'entre les morts après huit ans d'absence, soit depuis 2014 et Une Heure de Tranquillité pour le moins décevante, tandis que Gérard Depardieu, a priori, se montre à des années-lumière de l'image que l'on a pu se faire du commissaire.
Maigret millésime 2022, c'est l'adaptation de Maigret et la Jeune Morte, que Simenon a écrit aux Etats-Unis en 1954, mais en version décharnée, Leconte ne retenant que la trame archi connue élaguée de toute ramification.
De quoi donc, en première réaction, tirer la gueule et hurler à la trahison.
Sauf que Leconte réussit miraculeusement à ressusciter un certain esprit des films précédents, surtout ceux de Gabin, et de conserver intacte la force tranquille des romans. Le spectateur retrouvera donc en 2022 ce qu'il éprouvait à la lecture des romans, souvent remplis de personnages de bourgeois mesurés aux petits et aux sans-grades. De quoi penser, pendant la projection, qu'il est curieux qu'un gars comme Claude Chabrol ne se soit jamais mesuré à Simenon...
Patrice Leconte, lui, s'efface derrière la caméra pour laisser son personnage principal prendre la lumière dans ses décors austères et frugaux, tout en retrouvant ses moyens après une série de contre-performances. Correction : Patrice Leconte ausculte son personnage, comme il le montre dès les premières secondes du film dans le cabinet d'un médecin.
Il s'insinue littéralement dans sa tête, en sondant la fêlure muette du commissaire, qui le pousse à reconstituer l'image et l'identité d'une jeune inconnue, alors que ceux qui l'ont côtoyée sont incapables de la décrire avec précision. Un terrible paradoxe dans une enquête où le commissaire n'aura jamais été montré aussi las. Un curieux choix qui permet cependant de souligner l'empathie de Maigret et son désir de rendre justice à la jeune victime. Dans une thématique étonnamment voisine d'une affaire comme le Dahlia Noir, qui s'est déroulée seulement sept ans auparavant.
Et si, pendant les premières secondes de l'oeuvre, on pourrait prendre la présence de Gérard Depardieu comme une terrible erreur de casting, Patrice Leconte prend le parti de fondre le regard qu'il porte sur Maigret et celui qu'il porte sur son acteur, le faisant renouer avec une intériorité, une réserve et une timidité que l'on croyait à jamais oubliées.
Depardieu apporte dès lors à son Maigret une sensibilité mutique de tous les instants, s'offrant une renaissance que l'on n'attendait plus.
... Et imposant Maigret comme le film réussi que personne n'attendait sérieusement sur ce terrain.
Behind_the_Mask, ceci n'est pas une pipe.