Un film intéressant mais dont la BA est complètement trompeuse à mon sens et peut risquer de décevoir certains spectateurs.
Little Jaffna se présente sous les atours du traditionnel film de flic infiltré dans une communauté fermée, et souvent ethnique, mais même s'il épouse pas mal le schéma attendu de ce type de film et toutes ses scènes-motifs, son propos est surtout d'évoquer ce que c'est d'être le produit d'une culture diasporique comme l'est la culture des émigrés tamouls.
La question de fond du film n'est jamais de savoir si le gang va se faire serrer ou si le flic va se faire poirer mais plutôt de confronter le héros à son identité raciale, qui est un blédard mais ayant grandi en et qui est par là ramené à son statut d'aspirant à la blanchité, quête qu'il accomplit en étant policier et forcément par là contrariée. Le réal / acteur a une manière intéressante de symboliser ça dans sa gueule même puisqu'il s'est grimé en personnage atteint de vitiligo, maladie qu'il n'a pas si j'en crois ses photos en-dehors du film. Il a des traces de blanc sur sa peau brune qui disent déjà tout. Little Jaffna justifie d'ailleurs son choix de sous-genre dans la mesure où le film d'infiltration repose souvent sur le ressort du flic qui se prend au jeu d'être de l'autre côté de la barrière ; sauf qu'ici, la question n'est pas tant morale ou psychologique que politique et identitaire pour le personnage.
Le film montre constamment comment les événements en cours, dans sa diégèse, au Sri Lanka vont avoir des répercussions sur cette communauté qui vit à Paris en vase clos (et qui garde un avec leur monde à travers ces deux artefacts que sont le taxi phone et la télé internationale branchée dans des snacks, approche très réaliste pour qui a un minimum trainé avec des blédards), et l'opinion du réalisateur - acteur principal sur la guerre civile ée comme sur le soutien à des formes indépendantistes que d'aucuns déclareraient terroristes ne laisse planer guère de doute.
C'est un film politique sur la race, assez lent et illustratif dans sa volonté de représenter une communauté qui croit fermement en l'impossibilité et l'impertinence de l'intégration, provoquant voire agressif dans son fond. Ca ne colle pas du tout à ceux qui cherchent un polar nerveux ou qui peuvent être frileux sur ces questions.
Ce n'est pas mon cas, j'ai donc aimé. Le film aurait pu avoir plus d'action pour pleinement justifier le choix d'évoquer ces problèmes-là à travers l'emprunt à ce genre de film, mais j'ai aimé la plongée dans la communauté qui est proposée, avec les quelques effets stylistiques faciles mais qui marchent (plan zénithal sur un immeuble transformée en squat communautaire, plan séquence de collecte de l'argent de "l'extorsion" etc). Le travail sur les costumes est super intéressant avec cette manière mi-kitsch mi-agressivement colorée et bariolée qu'ont les personnages de se vêtir, et qui est assez typique du style urbain prôné en Asie du Sud-Est / sous-continent indien, loin de nos standards à nous. Le travail sur la bouffe participe de la même tendance et donne au tout un aspect presque sémiologique par instants.
A tenter mais peut-être pour les avertis.
____________________
PS : il y a des tas de moments dans ma vie où je pense que j'aurais pu ne pas aimer le film, pour ses quelques errances de rythme ou le manque de dosage de certains effets (je pense à quelques ralentis notamment). En ce moment, je cherche dans l'art plutôt le discursif que l'esthétique et il m'a cueilli au bon moment parce que son propos de fond est audacieux et pertinent. J'irais peut-être même jusqu'à dire subversif, d'autant plus quand on se renseigne un peu sur le if artistique de l'auteur / réalisateur et les raisons qui le poussent à vouloir prendre la barre lui-même.