J'aime pas les films de banlieue. Mais ça, j'aime beaucoup.
Peut-être parce que je n'en vient pas. Peut-être parce que je suis né trop tard pour que La Haine soit mon film générationnel. Peut-être aussi parce que sujet brûlant oblige, le film de banlieue français est -quand il n'est pas monopolisé par le racolage à la EuropaCorp- souvent pris dans un feu croisé de visions aussi peu finaudes que diamétralement opposées: le film social/misérabiliste aka les sempiternelles dardenneries cannoises, le film de bandeur de cités, ou encore le film pro-flic border-facho avec ses hordes de délinquants tous droits sortis de Mad Max 2. Et un peu entre les 2, la vision professorale bobo, qui te balance des banalités humanistes centristes avec l'assurance d'un apparatchik socialiste et l'emphase concernée d'un couplet de Médine ou de Bigflo & Oli.
Et justement moi, le rap conscient, tout comme le PS, de manière générale ça me donne envie de leur dévisser la tête et d'leur chier dans le cou. J'suis plutôt école textes vaches, drôles et nihilistes, égotrip graveleux, punchlines aussi sordides que laconiques, grosses instrus de baisé. Autant dire qu'avec Les Misérables, brûlant comme un freestyle de Fianso, pittoresque comme du Huntrill, captivant comme une prod' de Metro Boomin qui fait trembler les murs des strip-clubs, je suis agréablement servi.
Ah, j'en ait pourtant mis du temps à me lancer. D'abord à cause de cet à priori imbécile, renforcé par son titre qui me semblait relever soit d'un militantisme misérabiliste, soit de la soumission à la convocation lourdingue d'un référent légitime (tout comme Athéna se réclamait de la tragédie grecque, avec des sabots comme le tarpé de Nicky Minaj). Et pour finir, les polémiques et paniques morales, en réalité définitivement caduques, comme quoi le film serait pro-racailles, pro-frères muz', communautariste etc etc, le tout renforcé par les déboires judiciaires de son réalisateur.
Et là surprise, Les Misérables, loin d'être un pensum laborieux, c'est franchement poilant, et rien que pour ça -mais pas que- il emporte mon suffrage.
Entre les beaufs bizarrement attachants de la BAC qui ent leur temps à s'envoyer des vacheries scabreuses à la tronche (Alexis Manenti est tordant en imbécile heureux), le bizutage du bleu qu'on envoie palabrer auprès du colosse islamiste débordant de charisme aiguisant ses couteaux de kébabier entre deux aphorismes coraniques abscons, le maire et ses sbires qui s'attachent à proférer plus de grossièretés que SDM et peinent ne serait-ce qu'à se faire respecter des vendeurs de camelote à la sauvette, l'apparition hilarante des Lopez de service très remontés qu'un p'tit négro leur ait chourave un lionceau (idée aussi débile que géniale: ce sera l'enjeu principal de l'intrigue), Les Misérables peut se prendre avant tout comme une comédie de moeurs noire, rythmée, incisive, aux dialogues aussi fleuris qu'imparables. Même si dans sa 2eme heure, la comédie se mue en polar acerbe après une bavure commise par pas forcément celui auquel on s'attend.
Ladj Ly n'élude rien, ne cache rien sous le tapis (si ce n'est la présence féminine, hum hum); il met les pieds dans le plat du communautarisme, des conflits raciaux, des responsabilités individuelles et collectives et j'en e, et surtout, a l'intelligence de ne pas distribuer les bons et mauvais points d'un air profond et concerné. La phrase en insert de Hugo reste comme un mantra évident de son film: "il n'y a pas de mauvais hommes ni de mauvaises herbes, seulement de mauvais cultivateurs". Les bacqueux, aussi grossiers et brutaux dans leurs méthodes soient-ils, ne font qu'un travail ingrat dans un trou déshérité qui ronge leur humanité, et se débattent comme ils peuvent dans ce chaos au même titre que les délinquants qui les entourent. L'islamisme est révoltant d'archaïsme -et ses grands frères autoproclamés ne sont pas forcément les moins hypocrites- mais dans un cloaque où tout est défaillant il apparaît comme la seule main tendue aux populations. Bref, tout en nuances de gris, t'as j'veux dire.
Toutes ces tranches de vie s'enchaînent à un rythme trépidant, haletant, avec sa mise en scène immersive, lumière écrasante, caméra à l'épaule acérée mais sans jamais se complaire dans une posture pseudo-docu qui assènerait la vérité vraie dans toute sa véritude, suivez mon regard; un montage au cordeau, des galeries de persos hauts en couleurs: bref, ça se dévore comme du Tolstoï, ça fleure bon le Scorsese à l'ancienne, voire même, soyons fou, comme du John Ford -pour le côté mélange de réflexion civique matinée de purs moments de comédie de moeurs.
Tout ce que j'aime quoi.