En matière de cinéma, mes goûts sont souvent pris pour de la pédanterie par mon entourage... comme si je voulais "faire mon intéressant" en étant à tout prix en contradiction avec les goûts "en vigueur", comme si je faisais exprès de ne pas être d'accord. Il n'en est absolument rien, évidemment. En tout cas, je ne le fais pas exprès. Et croyez-moi, par les temps qui courent, il vaut mieux être d'accord avec "la masse" plutôt que de se démarquer. Je suis peut-être juste détraqué ou peut-être ai-je été bercé trop près du mur. Bref, c'est... compliqué.
Il semble qu'aujourd'hui, commence un nouvel épisode de la longue et peu intéressante série "bah moi, j'aime bien" avec le nouveau cru Cronenberg-ien : LES LINCEULS.
Déjà, il faut dire que mon rapport à l’œuvre de cet artiste, n'a jamais été un "long fleuve tranquille". C'est même tout l'inverse. Oui, j'ai haï ce cinéaste, pour des raisons plus ou moins fumeuses, que l'on mettra sur le dos de la fougue de la jeunesse (et de la bêtise qui va parfois avec) et même sur le dos d'un mimétisme bête, pour ne pas faire de vague et me conformer aux goûts de mon entourage (ça m'est arrivé, monsieur le juge). Je l'ai ensuite à nouveau aimé avant de le délaisser à nouveau. Je ne le comprenais plus, peut-être... je ne sais plus trop. Toujours est-il que je m'étais éloigné de lui, comme d'un ami que l'on perd de vue sans trop savoir pourquoi mais sans qu'il nous manque particulièrement non plus. Que j'entende autant de mal de certains de ses films, n'arrangea rien non plus, pour être tout à fait franc.
Les années ant, la sagess... l'âge aidant, vint le temps de quelques révisions... bénéfiques, le plus souvent. La vie aura fait son œuvre, aussi. Disons-le comme ça. Ainsi, quand la sortie des CRIMES DU FUTUR arriva, j'étais comme mûr pour l'apprécier à nouveau. Pour plein de raisons. La plus évidente était qu'il me semblait que le scénariste-Cronenberg me parlait directement, creusait un sillon qui me semblait familier, s'interrogeait sur les mêmes choses, questionnait les mêmes obsessions, ou en tout cas, qu'il avait vécu peu ou prou les mêmes situations ou traversé des épreuves similaires. L'expérience fut vertigineuse.
C'est peu de dire que j'attendais la "suite" avec impatience. J'ai appris de quoi cette "suite" parlait, la semaine dernière, donc quelques jours seulement avant d'entrer dans la salle. Et encore une fois, je me reconnaissais dans ce synopsis, dans cette idée. J'y allais donc confiant mais anxieux, aussi. Ce n'est jamais bon d'attendre trop d'un film, tout comme d'y entrer plein de certitudes. J'avais tort. Ces LINCEULS furent des charentaises.
Nouvelle satyre acerbe de l'époque, ce nouveau long métrage de Cronenbreg est un film posé qui manie le chaud et le froid avec autant de justesse et qui prend un malin plaisir à prendre toutes les attentes de ses spectateurs à contrepied en multipliant les coupes incongrues et en se clôturant au pire des moments (donc au meilleur). Encore une fois, le cinéaste interroge son époque et creuse ses obsessions en regardant ses propres démons droit dans l'âme. Pourtant, LES LINCEULS n'est jamais malaisant malgré son sujet. Aucune provocation juvénile, ici (contrairement à certains films és de la filmographie de l'artiste). Il faut dire, par honnêteté intellectuelle, que son but et son propos sont tout autre. Aucun signe ostentatoire, pas d’exubérance, pas de cris, pas de mouvements de caméra m'as-tu-vu, pas d'effets chocs ; on y sent le travail du vieux cinéaste qui maîtrise, du vieux maître, sûr de ses effets, c'est indéniable. Le spectateur est face à un metteur en scène qui s'intéresse plus à son sujet qu'à son nombril. Quelqu'un qui a des choses à dire plutôt qu'il ne fait l'étalage de son talent.
LES LINCEULS parle de la Mort, froidement, mais aussi du deuil, de la vie de "ceux qui restent" autant que de ceux qui sont morts, et comme toujours : des corps, qu'il se décomposent ou que l'on mutile, des doubles, autant d'obsessions récurrentes de son oeuvre, et surtout de l'Amour, du Temps et... de la médecine ! Il était temps. La mini-série de Lars Von Trier (L’HÔPITAL ET SES FANTÔMES) était lointaine, tout comme JOURNAL INTIME de Nanni Moretti et vraiment, ce que Cronenberg a à dire sur la médecine et les médecins a quelque chose de revigorant et de ionnant... certainement parce que c'est cet aspect-là qui m'a le plus "parlé" et avec lequel je me suis retrouvé en connexion directe, une nouvelle fois. Comme si Cronenberg s'était connecté à mes émotions et à mon ressenti. Comme s'il me chuchotait à l'oreille. Voilà donc, sûrement, pourquoi j'aime à ce point LES LINCEULS.
Il est tellement rare que l'on soit, en tant que spectateur, à ce point en osmose avec un artiste et c'est précieux, le temps que cela dure. C'est éphémère. Peut-être que je prendrais son film suivant pour une trahison, peut-être que je le haïrais. Mais peut-être aussi que LES LINCEULS sera son dernier film, son dernier "message aux vivants". Si jamais c'était le cas, de mémoire de spectateur, il s'agirait certainement de l'un des meilleurs "derniers films" d'un immense cinéaste. D'autant que d'habitude, le processus de décomposition des artistes s'enclenche dès leur soixante dixième année révolue, à peu près. Il n'en est rien pour Cronenberg (comme pour d'autres avant lui). C'est même tout le contraire du haut de ses 82 printemps. Il n'a jamais été aussi juste, aussi perspicace, aussi visionnaire et malicieux. Non seulement ça, mais ses traits d'humour sont, encore une fois, dévastateurs. On se bidonne pas mal pour peu que l'on goûte à l'humour noir. Et certaines des séquences des LINCEULS comptent parmi les plus belles de toute sa carrière. Je pense notamment aux séquences de "rêves" entre Karsh et sa femme, dans leur lit conjugal. Une suite de petites merveilles du 7° Art, drôles, tristes, mélancoliques, romantiques, belles, hideuses, lors desquelles les rires se mêlent aux larmes dans une formidable partouze d'émotions contradictoires. Merci pour ça, Monsieur Cronenberg et chapeau l'Artiste. Puissiez-vous encore longtemps m'émerveiller et m'éclairer comme vous le faites.