En 2021, David Cronenberg et sa fille Caitlin filmaient un court (très court) métrage d’à peine une minute où Cronenberg en personne faisait face à son propre cadavre qu’il finissait par embrasser et par étreindre. Et c’était fort. Et c’était dérangeant, presque bouleversant dans ce rapport frontal et charnel à la vieillesse et à la mort… Et ces quelques secondes s’avèrent finalement plus marquantes et plus éloquentes que les deux heures, proprement interminables, de ces Linceuls. Il y avait pourtant une telle richesse, thématique et esthétique, dans ce récit singulier d’un inventeur, dont l’épouse est morte d’un cancer, de stèles funéraires permettant d’observer, en direct, la décomposition de la dépouille de l’être aimé enveloppé dans une sorte de "linceul connecté" (dont l'éventuelle imagerie religieuse sera vite balayée par son processus avant tout technologique).
Récit que Cronenberg a écrit en contrecoup au décès de sa femme, survenu en 2017, s’interrogeant alors sur la façon dont les morts continuent à vivre dans nos esprits, sur l’écho qu’ils laissent dans nos vies et à travers les autres. Récit qui aurait pu donner une histoire ionnante, émouvante et ambiguë (alors, ces stèles, pulsion morbide ou procédé visionnaire ?), située quelque part entre l’hyper intime, l’expansion des technologies (et ses dérives) et la (dé)sacralisation du corps, mais que Cronenberg va, très rapidement et de façon incompréhensible, sacrifier aux dépens d’un fatras scénaristique sans intérêt. Fièvre complotiste, espionnage mondialiste, intelligence artificielle et fantasmes autour de l’épouse défunte (et mutilée, et double), tout se mélange et s’embrouille en délitant et la puissance allégorique des prémices du film, et la question du désir au-delà du deuil, désormais empreint d’une dimension presque "éternelle" via la fonctionnalité des écrans.
Et ce récit donc de ne plus être qu’une suite monotone (ne pas confondre épure stylistique avec paresse de mise en scène) de séquences verbeuses et plates dans lesquelles semblent errer les acteurs (et, de fait, les personnages), lesdits acteurs débitant des dialogues au kilomètre avec peu d’enthousiasme et peu d’incarnation (Vincent Cassel, en alter ego évident du cinéaste, joue pratiquement sur la même tonalité quelle que soit la scène qu’il a à interpréter). Cronenberg ira même jusqu’à, tristement, se plagier en filmant une embarrassante scène de sexe inspirée de Le festin nu, Crash…) et se rappeler que, oui, on a aimé ce cinéma-là.
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